mardi 23 mars 2010

Parents responsables recherchés

Il y a quelques jours, dans l'État du Rhode Island, les membres d'une commission scolaire ont décidé de renvoyer le directeur, les profs, les administrateurs et tout le personnel d'une école secondaire (93 personnes!) parce qu'ils n'étaient pas contents de la performance des élèves.


«Tout l'monde dehors! On recommence à neuf...»

Cette décision, qui a fait couler beaucoup d'encre, a été défendue par Barack Obama lui-même.

DES BOUCS ÉMISSAIRES FACILES

Dans une chronique savoureuse publiée sur le site du journal Huffington Post, le comédien Bill Maher a dit que ce ne sont pas les profs qu'on aurait dû congédier, mais les parents des enfants.

«C'est trop facile de blâmer les professeurs pour l'échec de nos enfants, écrit-il. Ce sont des boucs émissaires parfaits. Mais si l'on se fie aux études, les profs ne font aucune différence. L'important, c'est l'attitude et l'implication des parents. Tu as beau envoyer ton enfant dans une école privée qui te coûte 20 000$ par année, si tu ne t'impliques pas dans son éducation et s'il n'y a aucun livre chez toi, il va couler, point.»

«Quand il n'y a ni livre ni parents à la maison, qui élève les enfants ? La télévision. Nous laissons la télé transformer nos enfants en idiots finis.»

LE COMPTOIR DES PLAINTES

C'est le réflexe de l'époque. Nos enfants ratent leurs examens?

C'est la faute des profs. Ils engraissent? C'est la faute de MacDo. Ils sont violents? C'est la faute de Nintendo. Ils sont vulgaires? C'est la faute des vidéoclips. Ils sont obsédés par le sexe? C'est la faute d'Internet. Toujours la faute des autres, jamais la nôtre. Nous sommes tous des victimes du système. Dans Lire, c'est la vie, un passionnant recueil de chroniques qu'il vient de publier chez Boréal, Jacques Godbout pourfend cette attitude:

«Les parlements sont devenus des services d'aménagement des droits et des plaintes, écrit-il. Les diverses communautés qui forment la société sont dans une perpétuelle concurrence victimaire: les homosexuels, les handicapés, les églises, les noirs, les réfugiés, les cancéreux, les chômeurs, les syndiqués, les artistes demandent tous à l'État de leur venir en aide.»

«Il s'agit moins de trouver comment vivre ensemble que de tirer profit, chacun pour soi, des richesses accumulées. Le Québec n'est plus une patrie, mais un État protecteur. Une compagnie d'assurances.»

«AIDEZ-NOUS!»

On pourrait ajouter les parents à cette longue liste de victimes.

«Aidez-nous, nous sommes débordés! Ouvrez les garderies plus tôt, fermez-les plus tard, éduquez nos enfants, élevez- les, instruisez-les, aimez-les, montrez-leur les bonnes manières, donnez-leur le goût de lire, attisez leur curiosité, faites-les bouger, rendez-les plus ouverts, altruistes, compatissants, gentils, généreux, car nous, parents, n'avons ni le temps ni l'énergie...»

Certains parents voudraient que leurs enfants soient comme des ordinateurs. Vous les branchez, ils sont hyperfonctionnels et, toutes les deux semaines, ils mettent automatiquement leurs logiciels à jour sans qu'on ait à lever le petit doigt.

Malheureusement, ce n'est pas comme ça que ça marche...

DRÔLE D'HÉRITAGE

En terminant, je vous livre la meilleure citation que j'ai lue sur les erreurs des parents. Elle provient du psychologue américain James Dobson:

«Nous nous efforçons de donner à nos enfants tout ce qui nous a manqué dans notre jeunesse et nous négligeons de leur donner ce dont nous avons bénéficié.»


Richard Martineau, Journal de Montréal, 14 mars 2010.


lundi 22 mars 2010

Sexe, mensonges et téléréalité

Elle s'appelle Misty et elle a 19 ans. Misty n'est pas son nom «d'artiste». C'est son vrai nom. Elle vient de Vaudreuil, étudie à Concordia et a eu la très mauvaise idée de devenir candidate à Occupation double cet automne.

Occupation double, pour les lecteurs qui ne s'intéressent qu'aux documentaires animaliers, est une téléréalité. C'est-à-dire une émission qui donne l'illusion de situations réelles, en magnifiant le cul, la cupidité et la stupidité de concurrents avides de célébrité.

Un documentaire animalier d'un autre type, avec des bêtes recrutées dans les salons de bronzage de la province, maintenues en captivité jusqu'à ce qu'un mâle dominant choisisse une femelle (ou vice-versa) pour décorer sa maison préfabriquée en banlieue de Terrebonne.

Occupation double est très populaire. Près de 2 millions de téléspectateurs chaque soir de diffusion. C'est aussi une téléréalité qui tente de se donner un lustre de respectabilité et un vernis «glamour» en investissant davantage dans sa production que sa concurrente Loft Story.

Dans les faits, Occupation double est le restaurant tape-à-l'oeil du boulevard Saint-Laurent, tout aussi dégueulasse mais 20 fois plus cher que le shack à patates de la route 327 qu'est Loft Story. Au moins Loft Story n'essaie pas de nous faire croire qu'on lui a accordé une étoile Michelin.

J'en reviens à Misty. Il y a deux semaines, à heure de grande écoute, Occupation double a diffusé des images sans équivoque de cette jeune femme de 19 ans, au lit avec un certain Mathieu, de Longueuil.

«Je veux pas que tu penses que je suis une fille facile», lui murmure Misty. «J'ai jamais autant eu envie de faire l'amour», lui répond Mathieu, que l'on a pu voir dans le lit d'une autre candidate, 33 minutes plus tôt dans la même émission.

Les ébats de Misty et de Mathieu ont été filmés sans qu'ils ne le sachent, dans un chalet, par une caméra cachée. À leur insu. Un diffuseur avec le moindre souci de préserver l'intégrité de ses jeunes «vedettes», avec la moindre parcelle de bon goût, aurait choisi de ne pas diffuser ces images. Par circonspection et par respect.

Pas TVA. Le diffuseur d'Occupation double a préféré racoler quelque 2 millions de personnes avec une blonde de 19 ans en bobettes, qui succombe aux avances insistantes d'un plombier de 24 ans. «T'es sûr qu'y a pas de caméra? Je t'aime.»

Ce qui me dérange, ce n'est pas que ladite scène ait été diffusée à 20 h 34 et que le Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs précise qu'on ne devrait pas voir de sexe au petit écran avant 21h.

Ce qui me dérange, ce n'est pas non plus qu'Occupation double soit au deuxième rang des émissions les plus populaires chez les 2-11 ans ni qu'elle soit deux fois plus regardée que toutes les émissions jeunesse les plus populaires dans cette tranche d'âge.

Ce n'est pas enfin que les forums de discussion du web aient fait leurs choux gras de cette affaire en traitant la jeune Misty de «pute», «d'agace», de «connasse», et de tout ce que vous pouvez imaginer de pire encore venant de blogueurs sans discernement.

Ce qui me dérange, c'est le sensationnalisme et le racolage de bas étage.

TVA a diffusé les images d'une fille à peine majeure qui baise devant la caméra. Des images, certes plus suggestives qu'explicites (elles ont évidemment été censurées), mais bien RÉELLES. Des images susceptibles d'émoustiller le mononcle autant que d'intriguer sa nièce de 5 ans, et de nourrir les potins d'ados sur le dos d'une fille de 19 ans qui «aurait dû savoir».

La défense est toute prête, consignée dans un document qui exempte le diffuseur de toute responsabilité. Elle «aurait dû savoir» qu'elle était filmée. C'est dans son contrat. «Ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés, concède la porte-parole de TVA, Nicole Tardif. Mais on ne peut dire qu'ils ont été filmés à leur insu. Ils savent qu'ils sont filmés en tout temps, même s'ils l'oublient souvent lorsqu'ils sont en voyage.»

Je soumets au diffuseur que dans ce cas précis, Misty, 19 ans, ne le savait pas (À l'insu de: «sans en avoir conscience»; Petit Robert). Et que cette scène, à cause de l'internet, risque de lui coller à la peau bien longtemps.

Qu'on me comprenne bien. Je n'ai rien contre la représentation du sexe à la télévision entre adultes consentants. Le problème ici en est surtout un, justement, de consentement. Misty a peut-être consenti il y a plusieurs semaines à être filmée pendant son séjour à Occupation double. Mais ce consentement ne peut être assimilé à un consentement libre et éclairé de voir ses ébats sexuels épiés par près de 2 millions de personnes alors qu'elle croit de bonne foi être à l'abri des caméras.

Misty et Mathieu ont fait l'amour parce qu'ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés. TVA l'admet, mais a tout de même choisi de violer leur intimité en diffusant ces images. Parce que ça attire plus de téléspectateurs. Parce que la téléréalité peut servir, semble-t-il, d'exutoire à tous les voyeurismes.

Si s'en formaliser, c'est se montrer puritain, alors je plaide coupable. Peut-être que Misty elle-même ne s'en formalisera pas. Pour participer à une téléréalité, il faut déjà en quelque sorte renoncer à sa dignité.

Il reste que je me demande à qui a profité la télédiffusion de cette scène. À Misty, qui se fait traiter de putain dans tous les recoins du web? Ou à TVA, qui offre aux abonnés d'Illico, à tout moment, un accès exclusif aux «moments mêmes les plus intimes» des concurrents d'Occupation double?

Attendez que j'y pense un peu...

Marc Cassivi, La Presse, 13 novembre 2008.

mercredi 17 mars 2010

Note2be : Le site pour noter ses professeurs!

C’est en janvier dernier qu’à été mis en ligne le site Internet note2be. Sur celui-là, les élèves peuvent noter leurs professeurs. N’importe lequel d’entre nous peut le faire : il suffit de s’inscrire, de choisir son établissement, et d’y marquer ses professeurs (si ceux là n’y sont pas déjà, mais pour JDA aucun n’y ait encore !). Si ce concept fait rire lorsque l’on lit ces lignes, il en est tout autre chose pour certains parents d’élèves et professeurs (qui n’ont manifestement pas du avoir les meilleures notes J). Ils n’hésitent pas à emmener le site en justice.

La création de ce site vient d’une constatation qu’un bon nombre d’entre nous ne pourront pas contester : les professeurs sont souvent évalués selon l’examen d’un inspecteur et suivant les bonnes notes des meilleurs élèves, mais jamais selon notre point de vue. Cette idée est d’ailleurs un simple copié-collé de la 5ème proposition du rapport Attali (un rapport qui a été remis le 25 janvier dernier au chef de l’Etat, et dont le but est de libérer la croissance française).

Stéphane Cola, le co-fondateur de ce site, avoue sur note2be qu’il a eu l’idée de créer ce site Internet, mode d’expression favori de la jeunesse, afin « d’instaurer un équilibre dans la relation élève/professeur » et « de créer ainsi une émulation positive». De plus, il n’est pas question d’opposer professeur et élève, mais de donner la parole à tous afin d’améliorer le système éducatif français. « Ainsi, avec note2be.com, l’élève ne subit plus, il s’exprime. La relation professeur/élève peut ainsi s’établir sur une base plus égalitaire. » Peut-être, mais il aurait quand même pu demander l’avis au gouvernement avant d’agir tout seul.

Ainsi, une fois l’élève inscrit (et bien installé devant son ordinateur), de nombreux critères de notation lui sont offerts (le site est gratuit) : si le professeur est intéressant, clair, disponible, équitable, respecté, motivés pour finalement conclure à une moyenne sur 20. Et tout est strictement lié à la pédagogie : aucun jugement de valeur sur les professeurs, mais une appréciation fine de leurs qualités professionnelles.

Le site Internet est lancé fin janvier, et beaucoup de surfeurs s’y rendent, grâce notamment à son importante médiatisation (sur plusieurs radios, à la TV). Les élèves en suivent le principe, et les premiers votent au grand désarroi de certains professeurs qui voient publier leur identité sur le Web, et qui ne peuvent en plus rien maîtriser puisqu’ils n’ont aucun accès. Ils peuvent seulement réagir sur les forums.

Mais les forums, ce n’est pas le moyen qu’ils vont utiliser pour exprimer leur mécontentement : on compte aujourd’hui déjà plus de 17 plaintes et 160 signalements des professeurs et syndicats d’enseignants à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). En conséquent, trois de ses agents se sont rendus dans les locaux du site mercredi 13 février dernier, afin d’effectuer « en urgence un contrôle sur place ». Les suites données à cette affaire seront rendus le 6 mars prochain, ce délai est rendu nécessaire par le respect du principe du contradictoire.

Informé, le ministre de l’éducation Xavier Darcos a lui aussi affirmé qu’il n’approuvait pas l’existence d’un tel site, jugeant que le travail d’évaluation des professeurs a été donné à l’Education Nationale et que cela devait y rester. Il attend le jugement de la CNIL.

Mais en attendant, les enseignants ne comptent pas en rester là ! Des choses étranges se passent sur note2be : de nouveaux professeurs au nom farfelus (Rouge Bioman, Pierre Quyroul), des messages publiés trente fois sur le forum, ce qui le rend inaccessible, des messages étranges publiés dessus (une institutrice qui dit que son ex est un fou, qu’elle a du changer de numéro et de ville pour l’éviter, et que là il l’a retrouvé !) Aussi, ils viennent de lancer leur blog Contrenote2be où ils exposent leurs idées Ces profs, pire que nous dans la cour de récré J.

Pourtant, des sites comparables ont d’ores et déjà fait leurs preuves en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis. Le site américain ratemyprofessors regroupe 6 000 établissements, 1 million de professeurs et 6 millions d’opinions. Quel avenir pour ce type de site en France ?

Pierrick Lafarge, Le blog lycéen, 20 février 2008.

Duplicata

«Les jeunes et la culture», c'était le titre de notre cahier Plus de samedi. La Presse a posé une cinquantaine de questions à 600 élèves de 10 cégeps. Le résultat est confondant.

Quels sont vos artistes québécois préférés? Louis-José Houde, Martin Matte, Rachid Badouri. Quels sont vos artistes préférés - pas forcément québécois, vos artistes dans le monde, dans la vie? (La vie est un festin où s'ouvrent tous les coeurs... Je cite Rimbaud ou à peu près - ces jeunes-là doivent bien avoir des cours de poésie au cégep, non?) Leur réponse? Exactement la même que pour la question précédente: Louis-José Houde, Martin Matte, Rachid Badouri.

Quelles sont vos émissions québécoises favorites? Tout le monde en parle, Les Parent, Dieu merci, Trauma, Yamaska, Lance et compte. Vos films favoris (dans le monde, dans toute l'histoire du cinéma - ces enfants-là doivent bien avoir un prof de cinéma qui leur a déjà parlé de Dogville, non?). Leurs réponses: Avatar, De père en flic. Vos films québécois favoris: De père en flic, Bon Cop, Bad Cop. Groupes ou chanteurs québécois favoris: les Cowboys Fringants, Kaïn, Jean Leloup, Céline Dion. Leur auteur favori? Patrick Senécal.

Confondant, disais-je. Surtout le titre de notre enquête: «Les jeunes et la culture». Les jeunes? Les JEUNES? Ciel, comme ils sont vieux pour leur âge! Remarquez bien, rien de très neuf sous le soleil. Ça a toujours été ça. On en fait grand cas, les jeunes par-ci, les jeunes par-là, on donne des noms à leurs générations, génération Z, génération Y, mais au fond, c'est toujours la génération duplicata.

La génération toujours recommencée. Et toujours à genoux devant l'or et la merde.

Vous vous souvenez du disque tout noir de Metallica? Something's wrong, shut the light/Heavy thoughts tonight/And they aren't of Snow White.

Pierre Foglia, La Presse, 16 février 2010.

lundi 15 mars 2010

Fausse route, faux débat

Le décrochage scolaire continue à augmenter. La vieille proposition de couper les subventions aux écoles privées relève donc la tête. Si seulement c'était si simple.

Quand une école se vide, c'est que les parents ne lui font plus confiance. C'est ce qui arrive à plusieurs écoles publiques. Alors, que faire? Regagner la confiance des parents en leur offrant ce qu'ils veulent?

Bien sûr que non. Pour stopper l'hémorragie, on y retiendra captifs enfants et parents en mettant l'école privée à un prix que seuls les riches pourront se payer. Une vraie mesure «progressiste» comme on les aime au Québec

CHOISIR

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Précisément parce qu'elle est subventionnée, l'école privée coûte autour de 4 000 $ par année par enfant. C'est accessible à la plupart des gens, pour peu qu'ils se disent qu'une auto de 16 000 $ roule aussi bien qu'une autre de 20 000 $, ou qu'un écran plat n'est pas indispensable.

Un carton de cigarettes Players coûte 66,99 $ avant taxes. Question de valeurs, j'imagine.

Il est vrai que l'école privée sélectionne. Mais elle sélectionne sur la base du mérite scolaire des enfants et non du portefeuille des parents. Qu'on puisse lui imposer d'autres exigences, ça se discute.

Mais coupez les subventions aux écoles privées et qu'arrivera-t-il? Elles devront exiger des frais à la hauteur du coût réel de la formation. Les parents qui n'en auront plus les moyens devront renvoyer leurs enfants dans le secteur public, qui verra ses coûts augmenter. Et nombre d'écoles privées fermeront, faute de clientèle.

Les écoles privées restantes seraient réservées non plus aux enfants talentueux, d'où qu'ils viennent, mais à ceux, quel que soit leur talent, dont les parents en auraient les moyens. Est-ce ce qu'on veut?

La fin des subventions signifierait que, même si un enfant travaille fort, il n'aura plus accès à l'institution de son choix si ses parents n'en ont pas les moyens. Lamentable.

Mais rien n'est simple. Comment expliquer qu'il y a des écoles publiques de grande qualité? Comment expliquer qu'il y en a qui font des bonds de deux cents places dans ces classements qu'on dénonce, mais que tout le monde consulte?

Et où sont les preuves que la performance d'un élève en difficulté s'améliore parce qu'on le force à coexister avec un autre qui réussit sans problème?

LUTTER

Dans les écoles publiques qui réussissent, que trouve-t-on invariablement? Des directeurs à poigne, de la discipline, des enseignants qui aiment leur métier, des parents qui s'occupent de leurs enfants.

Comme par hasard, on y livre souvent un combat quotidien contre les conventions collectives à la soviétique, la bêtise de certaines décisions des commissions scolaires et les théories fumeuses des intégristes de la psychopédagogie. Le cas de l'école Louis-Riel, située dans un quartier difficile, est demeuré célèbre.

Tout le Québec d'aujourd'hui est dans ce débat. Chez nous, le réflexe premier est toujours de penser que pour aider les uns, il faut forcément réduire la liberté des autres. Moins fatigant, n'est-ce pas?

Mes propres enfants fréquentent l'école primaire au coin de la rue, et j'en suis fort satisfait. Elle est publique.

Joseph Facal, Journal de Montréal, 16 février 2009

samedi 13 mars 2010

Tuer comme un homme

Remettons d’abord les pendules à l’heure. Oubliez les Brigitte Bardot, les Pamela Anderson et les Paul McCartney qui tentent encore de nous bourrer le crâne sur la situation des phoques au Canada. Bien sûr, je peux comprendre que notre jugement puisse être altéré par les images surexploitées de ces mignons bébés phoques gisant dans leur sang. Le problème, c’est que la raison principale pour laquelle ces vedettes sont en guerre n’est finalement pas fondée.

Les phoques sont-ils réellement en danger au Canada?

La réponse est non. En fait, on compte environ six millions de phoques du Groenland sur la côte est du Canada, soit environ le triple de la population de phoques des années 1970. En effet, le gouvernement avait alors imposé l’arrêt complet de la chasse après avoir constaté une baisse importante du nombre de ce mammifère marin. Mais depuis, la situation semble complètement rétablie.

Ma question est la suivante: sachant que la population de phoques n’est plus en danger, est-ce que ça donne le droit aux chasseurs de les faire souffrir avant de les tuer?

C’est justement pour remédier à cette situation que le gouvernement du Canada a introduit cette semaine une nouvelle législation afin de garantir la mort rapide et peu douloureuse des phoques. Cette nouvelle législation implique un procédé en trois étapes que les chasseurs devront suivre à la lettre. Ainsi, après avoir assommé ou tiré sur le phoque, le chasseur devra regarder ses yeux pour s’assurer qu’il est mort. S’il ne l’est pas, le chasseur doit couper la principale artère de l’animal.

Cette initiative a pour but de rendre la chasse aux phoques plus humaine et moins barbare…

L’humain

Humain. Est-ce que tuer un animal peut vraiment être fait d’une façon plus humaine? Voici ce que l’on dit dans le Petit Robert à propos du mot humain: «Qui est compréhensif et compatissant», agir «Avec humanité, bonté, générosité».

Ouf.

Quand on sait que les chasseurs battent à mort des centaines de milliers de phoques chaque année à l’aide d’un gourdin, un gros bâton lourd et solide, j’ai un peu de réserve lorsque Kevin Stringer, du département fédéral du Canada pour la pêcherie et les océans, essaie de me faire croire qu’on tente réellement de rendre la chasse aux phoques plus humaine et moins barbare.

À la suite de la Commission Malouf, mise sur pied après la campagne de Brigitte Bardot en 1970, on révélait que le gourdin était le meilleur moyen de tuer un phoque. En effet, le coup de gourdin détruit le cervelet, le centre des sensations et le siège du système sympathique qui régit les automatismes comme le cœur et la respiration.

Mais pour cela, il faut qu’il soit assené au bon endroit…ce qui est rarement fait. Par conséquent, les phoques sont souvent encore en vie lorsqu’ils sont empilés sur le bateau des chasseurs et peuvent souffrir pour encore plusieurs heures. En fait, jusqu’à ce qu’ils succombent à leur blessure.

Les groupes écologistes radicaux, comme l’IFAW, ne mènent peut-être pas une campagne complètement transparente sur la situation des phoques au Canada. Mais pour ce qui est de la barbarie avec laquelle on massacre les phoques, je suis entièrement d’accord avec eux. Parce que même si on impose dorénavant un procédé pour s’assurer que le phoque est bien mort, il n’y aura pas plus d’inspecteurs pour contrôler et s’assurer que le procédé est vraiment suivi.

Battre à mort un phoque ne peut pas être fait d’une façon compréhensive et compatissante, avec bonté, humanité et générosité. La définition de l’«humain» selon le Petit Robert ne s’applique donc pas du tout à la chasse aux phoques.

Mais qu’est-ce que ce mot veut réellement dire?

Parce que quand je regarde ce que l’«humain» est capable de faire comme barbarie, quand je regarde les guerres, les génocides et les Robert Pickton de ce monde, je me dis que, finalement, c’est peut-être le Petit Robert qui se trompe.

Virginie Roy, Canoë, 12 mars 2008


mercredi 10 mars 2010

Les moumounes

Avez-vous lu ça? Sur les coffrets des meilleurs épisodes des dix premières années de la série pour enfants Sesame Street, on a publié un avertissement aux parents, affirmant que les vieux épisodes de cette série-culte «pourraient ne pas convenir aux enfants d'âge préscolaire d'aujourd'hui...».

Pourquoi? Parce que Cookie Monster mange trop de biscuits (le gras trans, c'est pas bon). Parce que dans un épisode, on le voit avec une pipe à la bouche (fumer, c'est dangereux). Et parce que Grouch a trop mauvais caractère et qu'il est toujours en train de bougonner (la pensée négative mène à la dépression).

Paraît que ça donne le mauvais exemple aux enfants...

La police des enfants

On est en train de virer complètement fou avec la sécurité.

Quand j'étais ti-cul, je jouais dans les ruelles de Verdun, je construisais des bolides avec de vieilles boîtes de bois et des roues de carrosses, je fabriquais des arbalètes, je jouais aux cow-boys et aux Indiens avec des pistolets en plastique, je grimpais sur les toits des hangars, je jouais à la cachette BBQ avec les p'tites voisines, je faisais fumer des grenouilles, je fabriquais des bombes puantes avec mon jeu de chimie, je collectionnais les monstres à coller et je projetais des balles de tennis dans les airs grâce à une sorte de bazooka qu'on fabriquait avec des canettes vides et du gaz à briquet.

Aujourd'hui, plus moyen de sortir un enfant sans l'enduire de crème solaire et lui mettre des jambières, des protège- coudes et un casque.

Et si jamais fiston essaie de frencher la fille des voisins, la DPJ débarque et enquête sur tous les membres de la famille pour savoir pourquoi Junior est un délinquant sexuel.

Dans la ouate

Après ça, on se demande pourquoi nos enfants nous envoient chier.

Ils nous envoient chier parce que c'est leur seule façon de faire sortir la vapeur!

C'est leur seule façon d'appréhender le risque, de sortir du rang!

On est en train de transformer nos enfants en moumounes. Et, de grâce, n'appelez pas Gai Écoute: quand je dis «moumounes», je ne dis pas «gais».

Je connais des gais qui ne sont pas moumounes, et des straight qui sont ultra-moumounes. La moumounerie n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle.

Une moumoune, c'est une personne qui a peur de tout, qui vit dans la ouate, et qui hyperventile dès qu'on la sort un tant soit peu de sa zone de confort.

Les mômans

Je sais que je vais me faire des ennemis auprès de certaines féministes, mais je m'en sacre: on est une société de mômans.

Même les pères agissent en mômans. Au lieu d'encourager leurs enfants à prendre des risques, à explorer le monde et à sortir de la jupe de leur mère, les «nouveaux» pères se comportent comme des mômans. Ils surprotègent, ils poupounent...

Les spécialistes en psychologie infantile se demandent si l'on devrait laisser les couples de lesbiennes adopter des enfants. Pourquoi pas? Ça fait des années que les enfants québécois sont élevés par deux mômans!!!

La vraie môman qui a des seins, et l'autre môman qui a un pénis.

Tant qu'à faire, aussi bien faire élever les enfants par deux femmes, non? Au moins, ça serait clair!

Richard Martineau, Journal de Montréal, 26 novembre 2007

Awaille, dépêche!

«On peut pas laisser les vidanges icitte!» «Agrippe-toi, quel fun noir!» «Awaille! Dépêche!»

Ce sont les exemples de traduction «à la québécoise» que citait dernièrement, dans sa chronique du Journal de Montréal, notre collègue Benoit Aubin.

La compagnie Nintendo, fabricant américain de jeux vidéo, a décidé, sans y être obligée, de produire une version française du jeu «Super Mario» pour le marché québécois. Et voilà ce que ça donne: des expressions traduites, comme le dit Aubin, «dans un français atroce, délinquant et déplorable, comme on n'en trouve que chez nous».

On est ici en plein paradoxe. D'une part, on se réjouit de ce que cette grosse entreprise américaine veuille servir les Québécois francophones dans leur langue - une chose qui aurait été absolument impensable il y a 30 ans. D'autre part, on s'attriste de constater que dans ce domaine comme dans tant d'autres, ce que l'on nous sert, loin d'être du français, est une sorte de dialecte impossible à comprendre dans le reste de la francophonie.

Ne blâmons pas Nintendo. Cette langue-là, c'est celle que tolère - que pratique! - une grande partie de nos élites.

C'est cela qui a changé: naguère, les Québécois qui avaient eu la chance d'accéder à l'instruction s'efforçaient de s'exprimer correctement. Aujourd'hui, les gens instruits, bien plus nombreux qu'autrefois, adoptent - par coquetterie, par une sorte de snobisme à rebours, ou, dans le cas des amuseurs publics, pour élargir leur audience - la langue relâchée farcie de sacres qui était autrefois le lot de ceux qui avaient quitté l'école avant la fin du primaire.

Je cite Aubin: «Trente ans de batailles linguistiques pour établir le français comme langue commune d'usage public au Québec. Dix ans d'Internet qui ont donné un droit de cité dans le cyberespace à notre langue et à notre culture qu'on croyait menacées à court terme. Et pour aboutir à quoi? À Super Mario disant: «Cette job est pas pantoute facile!»

Il y a bien des gens que cette situation désespère, dont le directeur des études du cégep de Saint-Jérôme, Robert Ducharme, qui est aussi président de la Commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps.

Dans un récent courriel, M. Ducharme plaidait en faveur d'un «chantier national sur la langue». Il constatait, lui aussi, que le Québec compte beaucoup de gens instruits et bien informés, mais que la grande absente c'est la maîtrise de la langue. «La reconnaissance d'une diversité culturelle doit être, dit-il, soutenue par une langue parlée et écrite de qualité.»

Plus concrètement, il s'inquiète du futur marché de l'emploi. Notre secteur manufacturier s'amenuise à mesure que des usines se délocalisent vers les pays en voie de développement. Il y aura de moins en moins d'emplois de cols bleus, de moins en moins d'emplois qui n'exigeront pas la maîtrise de la langue qui va avec la spécialisation. Or, dit-il, «ce n'est pas en utilisant des mots imprécis et des phrases approximatives que nous pourrons nous assurer une place sur l'échiquier mondial».

Que l'on pense, justement, aux ordinateurs, au web, à l'Internet. Les nouveaux moyens d'information et de communication passent tous par la langue. Google corrigera vos menues fautes d'épellation en vous demandant si ce n'est pas plutôt tel mot que vous recherchez. Mais une connaissance approximative de la langue vous empêchera de tirer profit des moteurs de recherche.

Quelques futurologues ont déjà voulu nous faire croire que la majorité des gens n'aurait jamais besoin de savoir écrire. Quelle erreur! Jamais dans l'histoire l'écriture n'aura pris une telle importance. Les messages électroniques ont remplacé le téléphone. Même les patrons, qui se fiaient naguère à leur secrétaire pour rédiger leurs lettres, doivent aujourd'hui pouvoir écrire sur l'ordinateur.

Un chantier national sur la langue, qui dépasserait le strict domaine de l'école pour toucher tous les secteurs - familles, médias, arts, politique, commerce, entreprises Un chantier d'envergure nationale, qui serait, comme dit M. Ducharme, «porté par le gouvernement, voire l'Assemblée nationale» Mais oui, l'idée est excellente. Ce n'est pas la première fois qu'elle court, cependant, et jusqu'ici aucun parti, aucune coalition ne l'a ramassée.

Lysiane Gagnon, La Presse, 22 janvier 2008.

lundi 8 mars 2010

Faut-il tuer Tilly?

Si vous aviez de jeunes enfants dans les années 1990, ils ont certainement vu et revu le film Mon ami Willy. Un jeune garçon et une orque mâle exploitée par le propriétaire d’un parc aquatique se lient d’amitié. Avec l’aide de ses parents adoptifs, le garçon réussit à sortir l’orque du parc et à la ramener à la mer. Le film a suscité un immense courant de sympathie pour les orques en général, et pour celles en captivité en particulier.

Dans la vraie vie, comme chacun sait, les choses ne sont pas si simples. Même pour les orques (aussi appelés épaulards). Mercredi, une orque du Seaworld d’Orlando, Tilly, se trouvait dans la partie peu profonde de son réservoir en compagnie d’une entraîneure d’expérience, Dawn Brancheau. Celle-ci venait de le récompenser pour sa performance lors du spectacle lorsqu’il l’a pris ses cheveux en queue de cheval dans sa gueule et l’a entraînée au fond du bassin. Mme Brancheau est morte noyée et de «multiples blessures», selon le rapport d’enquête. L’incident suscite de vifs débats aux États-Unis.

Devrait-on garder en captivité des mammifères d’une telle taille – Tilly pèse quelque 5600 kilos -?

«Nous savons qu’isoler des personnes les rend folles. Comment pouvons-nous nous attendre à autre chose dans le cas d’animaux marins?» demande un océanographe. Le spécialiste du comportement animal chez Seaworld affirme que les entraîneurs surveillent constamment le comportement des orques et que rien n’indiquait, mercredi, que Tilly était stressé.

Tilly est né en mer mais, de plus en plus, les orques qu’on voit dans les parcs aquatiques sont nés en captivité. On ne capture plus d’orques dans les océans depuis 20 ans. Certains souhaiteraient que les orques présentement captives soient libérées, mais même si les propriétaires de parcs aquatiques acceptaient de le faire, le succès de l’opération ne serait pas garanti. L’épaulard qui «jouait le rôle» de Willy, Seiko, est mort en décembre 2003, un peu plus d’un an après avoir été remis à la mer. Il semblait incapable de se nourrir seul. Malade, il a fini par s’échouer.

Devrait-on employer des animaux pour faire des spectacles?

«Si nous nous intéressons vraiment aux animaux, laissons-les tranquilles», dit la présidente d’une organisation militant pour le traitement éthique des animaux. «Nous gardons des animaux en captivité pour éduquer les gens. L’éducation, c’est notre dernière chance de sauver ces animaux», rétorque un directeur de jardin zoologique.

Devrait-on tuer une orque qui s’est attaquée à un humain?

La direction de Seaworld a fait savoir qu’elle n’euthanasierait pas Tilly: «Il est membre de notre famille. Ces animaux nous permettent d’apprendre beaucoup de choses.»

Un défenseur des droits des animaux, Russ Rector, s’est élevé contre cette décision: «Tilly est un tueur. S’il s’agissait d’un chien, on l’endormirait.» Il faut dire que l’épaulard en question a déjà été impliqué dans au moins un incident du genre, en 1991, alors qu’il était en captivité dans un parc de Victoria, en Colombie-Britannique.

Un enseignement ressort de cette affaire, comme de toute l’expérience de l’Homme avec les animaux. Malgré des siècles d’observation et d’étude, bien des aspects de leur comportement échappent à notre compréhension. Ainsi, pourquoi Tilly a-t-il attaqué son entraîneure au moment où celle-ci le récompensait? Selon un spécialiste de la faune marine interviewé par le New York Times, les épaulards sont trop intelligents pour agir seulement par instinct: «Ce n’était pas un geste de folie, c’était prémédité». Un autre expert exprime une opinion différente: «On parle d’un animal qui peut déchirer en morceaux une baleine bleue! Si Tilly avait agi de manière agressive, le corps de la victime aurait été en bien plus mauvais état.» L’épaulard voulait-il seulement jouer avec Dawn?

Les spectacles mettant en vedette les orques ont repris en fin de semaine au Seaworld d’Orlando. Sans Tilly… pour l’instant.

André Pratte, La Presse, 28 février 2010.

jeudi 25 février 2010

À quand une limite de 120 km/h sur les autoroutes?

J’endosse une bonne partie des mesures gouvernementales mises de l’avant afin de réduire le nombre d’accidents de la route imputables à l’alcool et à la vitesse.
Là où je m’inquiète sérieusement toutefois, c’est en constatant que rien n’est prévu pour hausser la vitesse limite sur nos autoroutes. Dans un tel contexte, le dossier se résume à une seule chose : sous le fallacieux prétexte de la sécurité routière et en attendant le moment propice (la mort de la petite Bianca) à l’annonce de ces nouvelles mesures, on assiste à une autre démonstration de démagogie dont le seul et unique but est de remplir davantage les coffres de l’état.

On va continuer à nous épier sur les autoroutes tout en laissant les routes secondaires vides d’une présence policière. On ne viendra pas me dire que les voitures modernes avec de meilleurs pneus, de meilleures suspensions et de meilleurs freins (sans compter la sécurité passive) ne sont pas infiniment supérieures aux automobiles conçues il y a une trentaine d’années. Si la plupart des pays d’Europe autorisent une vitesse limite de 130 km/h, pourquoi pas nous ? Rouler à 100 km/h dans une voiture moderne équivaut à n’avoir rien à faire, ce qui nous vaut des conducteurs pas très alertes, occupés à parler au téléphone ou à lire leur courrier. La seule manière de rester concentrée au volant est de rouler à une vitesse qui oblige le conducteur à s’impliquer dans la tâche à laquelle il fait face. Pour ceux qui vont pousser les hauts cris face à 130 km/h, j’accepterais 120 km/h pour commencer à redonner aux autoroutes le rôle pour lequel elles ont été conçues : rallier une autre ville dans un minimum de temps.

J’accepterais même une période d’essai limitée à certains secteurs d’autoroute particulièrement dépourvus d’embûches et où les accidents sont peu fréquents. Après, on verrait bien. Bref, que l’on fasse preuve d’un peu de bonne volonté dans l’application des règlements afin de nous démontrer que l’on a vraiment à cœur la sécurité routière et non le bas de laine du gouvernement.

Finalement, j’endosserais aussi une tolérance zéro pour l’alcool au volant, comme cela se fait dans plusieurs pays d’Europe, dont la Suède qui expédie en prison manu militari les contrevenants.

Jacques Duval, http://www.guideauto.com, 13 novembre 2007.

mardi 23 février 2010

Les Jeux valent-ils le coût ?

Les anneaux olympiques devaient être la bouée de sauvetage de Vancouver, dont l’économie a été touchée plus tardivement, mais plus durement, par la récession. C’est ce que j’écrivais dans un grand reportage paru à l’automne dernier dans La Presse Affaires Magazine.

Or, les Jeux olympiques d’hiver n’ont pas l’effet escompté, conclut Jimmy Jean, économiste de la firme Moody’s Economy.com.

Dans son commentaire, que vous pouvez lire ici, cet expert remet en question les retombées économiques des Jeux. Ces retombées ont été chiffrées à 10,7 milliards de dollars entre le moment de l’attribution des Jeux à Vancouver, en 2003, et la cérémonie de clôture, à la fin du mois.

Selon Jimmy Jean, les statistiques ne permettent pas d’isoler un effet des olympiades sur l’emploi dans la région de Vancouver. Il n’y a que les secteurs du commerce de détail et du commerce de gros qui aient embauché plus de salariés au deuxième trimestre de 2009, alors que les dépenses de consommation s’affichaient à la baisse. Cela laisse croire que les entreprises de ces secteurs anticipaient l’arrivée de la flamme olympique.

Ce constat rejoint une étude de l’école de gestion Sauder de l’Université de Colombie-Britannique, selon laquelle les Jeux auront un impact négligeable sur l’emploi, si l’on fait exception de la création de postes temporaires.

Conclusion qui s’ajoute aussi à celle d’une étude de la firme PricewaterhouseCoopers, selon laquelle les Jeux n’ont pas augmenté de façon significative le PIB de la Colombie-Britannique au cours des quatre dernières années.

Jimmy Jean ne va pas jusqu’à conclure que les Jeux olympiques sont sans intérêt, d’un point de vue économique, en raison de la visibilité et des infrastructures dont Vancouver héritera. Mais ces avantages, note-t-il, ont un prix fort élevé. Lire à ce sujet le reportage instructif de mon collègue Vincent Brousseau-Pouliot sur les coûts des Jeux.

Pensez à la Grèce. Pensez à Montréal…

La question à 7,3 milliards de dollars, la facture estimée des Jeux : est-ce que cela vaut vraiment le coût de recevoir les meilleurs athlètes du monde ? Ou faut-il considérer les Jeux autrement ?

Sophie Cousineau, La Presse, 15 février 2010.

lundi 22 février 2010

Team USA a battu Team Canada : yes !

Une confession, honteuse, ou presque. J’haïs Team Canada dans le tournoi olympique de hockey masculin. À cause de la prétention. À cause du ra-ra-rah patriotique dans lequel marine l’aventure depuis un an. Sous-jacent : c’est NOTRE sport, c’est NOTRE olympiade, une médaille d’or est NOTRE droit souverain à Vancouver.

Je veux que le Canada perde le tournoi de hockey masculin des Jeux olympiques comme à la Coupe du Monde de soccer, je ne veux voir ni le Brésil ni l’Italie gagner. Comme je ne veux pas voir les Yankees gagner la Série mondiale.

Au Canada, ce qui rend insupportable toute cette vanité nationaliste imbriquée dans le hockey, c’est que les Canadiens se font une fierté de ne pas être Américains, dans toutes les sphères de leur vie en général et dans le sport en particulier. Dans le ra-ra-rah, je veux dire. Dans l’immodestie ostentatoire, aussi. Or, quand ça vient au hockey, le Canada devient le pire des USA : chauvin, tapageur, arrogant. En cela, feuille d’érable dans la face, il ne se voit même pas singer l’Américain. Quand je vois un beau content brandir une affiche, dans la foule, qui dit HOCKEY IS CANADA’S GAME, j’ai envie de voir la Suisse battre le Canada à sa propre game…

Comme si nous avions une sorte de propriété intellectuelle sur le sport. Comme si tous les autres, Russes, Slovaques, Tchèques, Américains étaient par définition des pygmées à notre jeu. Ce qui n’est pas le cas, évidemment, depuis 20 ans au moins, minimum. Comme si la version canadienne de la game – pousse la puck dans le fond, crée des embouteillages devant le but, frappe fort-fort-fort, hope for the best – était l’équivalent sur glace de Picasso.

Voilà. C’est dit.

Pour moi, c’est ABC (Anything but Canada), dans ce tournoi.

Patrick Lagacé, La Presse, 22 février 2010.

Ségrégation raciale au bal des finissants; chacun son bal

Cet article du New York Times décrit le bal des finissants de l'école Montgomery County High School de l'état de Georgie aux États-Unis....où plutôt LES bals; celui des blancs et celui des noirs.

En effet, après avoir fait classe ensemble toute l'année, jouer dans les mêmes équipes sportives et partagé des sorties, voilà une étrange façon pour ces jeunes de conclure la fin de leurs études secondaires et de poursuivre leur vie au collège et sur le marché du travail.

La nouvelle m'a choquée, et me fait me demander s'il se passe des choses semblables dans nos écoles canadiennes...

Voici quelques traductions libres tirées de cet article:

"Tous les étudiants sont bienvenues au bal des étudiants noirs même si généralement il y a peu ou pas du tout d'étudiants blancs qui viennent." Le bal des étudiants blancs, selon ceux-ci, demeure gouverné par des règles non-écrites largement répandues à propos de qui exactement peut venir à la soirée. Les membres noirs du conseil étudiant ont déjà demandé aux administrateurs de l'école de tenir une seule soirée de promotion, mais ces efforts n'ont pas aboutis.

"La plupart des étudiants veulenent avoir leurs bals de finissants ensemble," dit Terra Fountain, une étudiante blanche de 18 ans qui a été promu l'année dernière et qui vit maintenant avec son copain de race noire. "Mais ce sont les parents blancs qui ne veulent pas...Ils disent qu'ils ne veulent pas payer pour ça s'ils vont avec les noirs."

"C'est vraiment étrange", reconnaît JonPaul Edge, un senior qui lui est blanc. "J'ai autant d'amis noirs que de blancs, et on fait tout ensemble...sauf ça. Je ne crois pas que personne à notre école soit raciste."

"Ma meilleure amie est blanche," dit cette étudiante. "Elle est là ce soir, c'est une fille vraiment bien...mais je n'arrive pas à comprendre, pourquoi on ne peut pas tous y être?"

Marie-France Côté, La Tête de l'emploi, 27 mai 2009

jeudi 18 février 2010

Propos de Mailhot et Goldberg jugés homophobes

jweir
Johnny Weir
Photo Getty Images

Des propos tenus par l’animateur Claude Mailhot et l’analyste Alain Goldberg sur le patineur américain Johnny Weir sont jugés homophobes par le Conseil québécois des gais et lesbiennes.

Les commentaires ont été prononcés durant l’émission Le réveil olympique, à RDS et à V hier matin.

Goldberg y a notamment affirmé «que Weir laisse une image assez amère pour le patinage artistique, qu’il est un très mauvais exemple, car le monde va penser que tous les garçons qui pratiquent ce sport vont devenir comme lui», peut-on lire dans un communiqué du CQGL, intitulé «Mailhot et Goldberg doivent s’excuser publiquement!»

Mailhot et Goldberg auraient ensuite insinué «que Weir devrait passer des tests pour vérifier sa masculinité ou sa féminité». Mailhot s’est aussi demandé «si Weir ne devrait pas compétitionner chez les femmes».

Je viens d’écouter l’entrevue complète. Mailhot et Goldberg ont été effectivement très maladroits et résolument «mononcles» dans leurs commentaires. C’est hélas le lot d’une trop grande partie du monde sportif. Même si son exubérance et ses choix vestimentaires peuvent faire sourire, on ne peut pas forcer Weir à être autre chose que lui-même.

Et ce n’est certainement pas un «très mauvais exemple» pour la jeunesse, contrairement à ce que pense Goldberg.

Messieurs Mailhot et Goldberg, évoluez un peu. Il faut toutes sortes de monde pour faire un monde!

Richard Therrien, La Presse, 18 février 2010.

mercredi 17 février 2010

Santé : le tabou

La santé est un besoin fondamental. C’est aussi une mission sociale essentielle. Si essentielle qu’on ne veut pas la corrompre en la soumettant aux contraintes de l’économie et à la logique marchande. Ces craintes, compréhensibles, expliquent pourquoi on a voulu mettre le monde de la santé à l’abri de ce genre de pressions, notamment en privilégiant un système public et gratuit.

Nous avons commis une erreur en sacralisant la santé et en refusant d’accepter que, malgré son rôle essentiel, elle est également une activité économique. Ce refus a deux conséquences.

La première, c’est qu’on se prive d’un levier important. Les dépenses de santé, on le sait, représentent un peu plus de 10 % du PIB, 39 % des dépenses publiques québécoises. En la mettant dans une bulle, dans un monde à part, on accepte que 10 % de nos ressources ne contribue pas à la création de richesse.

La seconde, plus fondamentale, c’est qu’involontairement, on condamne, dans les faits, le monde de la santé à la stagnation. On voit maintenant la santé comme une dépense, un coût, une contrainte, une perception renforcée par le fait que le gros du financement provient du secteur public et donc des impôts. On a donc aussi tendance à vouloir combattre la croissance des dépenses en santé, en raison des pressions insupportables que cela exerce sur les ressources disponibles.

Mais au nom de quelle logique ? Pourquoi faudrait-il dépenser le moins possible en santé ? Quand les dépenses augmentent dans un secteur, par exemple le loisir, personne ne grimpe aux rideaux. On pense plutôt au potentiel que permet cette consommation, en qualité de vie, en emplois, en développement du tourisme, en entreprises nouvelles. Pas en santé. Et pourtant, la croissance de ce secteur permet la création d’emplois de qualité, développe des activités de pointe, renforce l’économie du savoir, permet d’augmenter à la fois le niveau de vie et la qualité de vie. Dans une société qui s’enrichit, il serait normal qu’une portion croissante des ressources additionnelles aille vers ce secteur qui répond à des besoins et procure du bien-être.

Mais pour qu’un raisonnement comme celui-là tienne la route, il faut que les activités liées à la santé puissent aussi, sans affecter leur mission première, contribuer à la création de richesse. Et c’est là qu’intervient le tabou. On a mis la santé dans une bulle, ce qu’on n’a pas fait avec d’autres besoins encore plus essentiels, comme la nourriture et le logement, ni avec d’autres missions sociales, comme l’éducation.

Voilà un bel exemple. On a accepté que l’éducation ait une double mission, d’abord sociale, mais aussi économique. Et cela a transformé le réseau de l’éducation. Les activités sont largement financées par l’État, mais il y a aussi un réseau d’écoles privées qui ont un effet dynamisant sur le système. C’est un monde de concurrence, pas seulement entre le privé et le public, mais entre les cégeps, entre les universités. On pense en termes de développement et de croissance. On fait de l’argent, en acceptant des étudiants d’ailleurs. On exporte notre savoir-faire.

Une telle logique, malgré ses risques, ferait du bien en santé. Par exemple, le choix de l’emplacement du CHUM aurait peut-être été différent si on avait tenu compte du levier technologique que proposait le projet d’Outremont. On réagirait moins négativement à l’idée d’avoir deux hôpitaux de pointe, un avantage évident dans une ville de savoir. On aborderait autrement le contingentement des professions médicales, une aberration dans une société qui dit vouloir plus de diplômés de haut niveau. On utiliserait plus intelligemment les pharmaciens, exclus parce que leur activité marchande dérange. On encouragerait aussi la création d’entreprises qui investissent, innovent, arrivent avec de nouvelles idées. On exporterait peut-être nos services. Et surtout, et surtout, on introduirait de la concurrence dans le système

Ce décloisonnement de la santé, même s’il heurte un tabou, refléterait davantage la réalité de la santé, qui dépasse largement le monde des soins curatifs. La santé, c’est aussi la prévention, l’environnement, la prise en compte des inégalités, le mode de vie. La façon dont on mange, nos choix de loisirs sont aussi des gestes liés à la santé. Il refléterait aussi le fait que les gens sont des consommateurs, y compris en santé, où ils ont les mêmes comportements qu’ailleurs.

Ce type de raisonnement ouvre la porte à une place plus grande du privé. C’est vrai. Mais le gros de ces changements d’attitude peut se faire à l’intérieur d’un système public.

L’important, c’est bien moins la présence plus ou moins grande du secteur privé, que l’introduction d’une dynamique de concurrence dans un système rigide.

Alain Dubuc, La Presse, 17 février 2008.

mardi 16 février 2010

La peur de l'agent Lapointe

La première chose qui frappe, chez l'agent Jean-Loup Lapointe, c'est sa manière de s'exprimer. Un français impeccable, un vocabulaire précis. Rien à voir avec le langage stéréotypé qui sortait naguère de la bouche des policiers entraînés à utiliser un parler du dimanche pour la Cour.

On a affaire à un policier de la nouvelle génération, exemple même de cette «police éduquée» que Serge Ménard réclamait il y a 15 ans.

Cette police-là ne dit pas «en tout cas», elle dit «du moins». Elle maîtrise les abstractions juridiques et connaît les pièges des avocats.

Mais ça ne garantit pas pour autant une manière plus intelligente d'exercer son autorité.

Tout le monde se demande si l'agent Lapointe avait des motifs de sortir son arme et de tirer quatre fois dans cette «masse» humaine qui s'abattait sur lui. C'est à l'évidence une excellente question, vu que Fredy Villanueva en est mort et que Jeffrey Sagor Metellus a reçu une balle dans le dos.

Mais pour avoir entendu une partie de son témoignage, je suis à peu près persuadé qu'il soulèverait un doute chez un jury en plaidant la légitime défense, dans l'hypothèse peu probable où il serait accusé d'un crime (meurtre à l'utilisation négligente d'une arme à feu).

Il n'en reste pas moins que cette mort n'aurait jamais dû survenir et que l'agent Lapointe avait le moyen de l'éviter.

Mais pas quand il était au sol, en train de maîtriser un jeune homme et de s'inquiéter des quatre autres qui l'entouraient ou qui sautaient sur lui - selon la version qu'on retient.

C'est le départ de cette affaire qui n'a aucun sens.

Nous voici à l'heure du souper dans un quartier où les tensions ethniques sont vives, où des gangs de rue sévissent, et où la police cherche des stratégies pour maintenir l'ordre.

Il est 18h30 et ces deux policiers voient cinq jeunes hommes qui jouent aux dés.

Saviez-vous qu'il y a un règlement municipal qui interdit les jeux de hasard dans les endroits publics? Moi, non. Je sais, par contre, depuis mon cours de droit, qu'il est à peu près humainement impossible de vivre une semaine dans Montréal sans violer un règlement. Il y en a sur à peu près tous les sujets, et si on en faisait l'énumération exhaustive, bien des gens auraient peur de sortir de chez eux!

Donc, il y a ces jeunes latinos et Noirs qui jouent aux dés et ces deux policiers blancs qui arrivent.

Selon Jean-Loup Lapointe, en constatant cette infraction au règlement municipal (un RM dans le jargon), il décide d'intervenir. Sa nouvelle coéquipière Stéphanie Pilotte a dit au coroner que l'agent Lapointe ne lui a pas parlé du RM. Et les avocats des jeunes mettent en doute la version de Lapointe. En 15 ans, sur tout le territoire de Montréal, il y a eu... deux billets d'infraction émis pour ce RM. Des avocats des jeunes disent qu'en fait il voulait identifier ces jeunes pour fins de surveillance.

Mais supposons qu'il dise la pure vérité. Il me semble que c'est encore pire. Est-ce vraiment une bonne idée d'aller faire respecter un RM désuet auprès de jeunes qui ne font rien de mal?

Une semaine, l'État annonce qu'il se lance dans le jeu en ligne. La semaine suivante, un policier explique que c'est en allant donner des contraventions à des jeunes qui jouaient aux dés qu'il en est venu à en tuer un.

Allez expliquer ça à un nouveau venu dans ce pays.

J'écoutais l'agent Lapointe l'autre jour raconter pendant des heures un épisode qui a duré à peine une minute. Je baisse ma vitre, je sors de ma voiture, je les interpelle... fraction de seconde par fraction de seconde. Et en arrêtant pour préciser où tous sont situés, dessin à l'appui. Mon bras est ici, ma jambe est comme ça.

Et j'avais ce même fantasme qu'au temps où je passais mes journées à écouter des témoignages à la cour: ça va finir autrement.

Je sais bien que ça finit par une mort et un blessé. Mais en entendant le fatal enchaînement des choses, dans la décomposition et la recomposition judiciaire du temps, on a parfois cette illusion qu'on possède la réalité. Qu'on peut en détourner le cours absurde vu qu'on la regarde dans un microscope.

Eh non. Il y a toujours quatre coups de feu. Un qui tue, un qui blesse. Et, bien sûr, c'est normal, on se demandera longtemps et avec raison pourquoi fallait-il tirer, les autres n'étant pas armés. Il y aura beaucoup à dire là-dessus.

Mais moi, en écoutant ce jeune policier décrire tout ça, c'est le début que je ne comprends pas. Est-ce vraiment ainsi que la police exerce son autorité, surveille ce quartier difficile? Un RM sur les jeux de dés?

Il faut le croire quand il dit qu'il avait peur. Mais j'ai l'impression qu'il avait peur bien avant de tirer.

Yves Boisvert, La Presse, 15 février 2010.

lundi 15 février 2010

Fier d'être «Canadian»

I am so proud to be a Canadian! It is with great pride that I realized that the organizers of the Vancouver Olympics truly understand the real Canada!

I am so proud that I had to put some of my emotions in writing in this country's "superior language" so that the bosses at VANOC would be proud of me.

Vendredi soir, lors des cérémonies d'ouverture des Jeux de Vancouver, ils ont montré ce qu'était le Canada. Les Rocheuses, les Prairies et les Maritimes, en passant par-dessus le Québec. Ce ne sont quand même pas Jean Charest et Pauline Marois qui vont les inquiéter! De toute façon, ils ont compris que les Québécois aimaient ça, se faire bafouer. Je suis tellement fier que les fausses politesses appartiennent maintenant au passé. Plus besoin de faire accroire qu'on les respecte, ces Québécois, on peut leur piler dans la face, ils ne diront rien. Eux autres, à Vancouver, ils ont compris.

Three former federal ministers wrote to me. Not one, not two, but three! These are prominent federalists who devoted years to Canada. All three were shocked and outraged, during the opening ceremonies, by the outright contempt for the French language and the great Quebecois athletes who have long carried the weight of the Winter Games on their shoulders.

Je le traduis pour les quatre millions de Québécois qui ne parlent pas la langue supérieure. Dans la journée d'hier, j'avais déjà reçu des courriels de trois anciens ministres fédéraux criant leur indignation et leur colère après avoir vu les cérémonies d'ouverture. Deux m'ont demandé de respecter la confidentialité, un autre n'a rien précisé. Les trois étaient scandalisés par le mépris épouvantable montré envers le Québec et envers les athlètes québécois.

Ben, je suis fier, yes I'm proud, que les organisateurs de COVAN aient bafoué des années de travail et de gloire de ces athlètes et les grands principes de ces anciens ministres. Enfin, quelqu'un a dit la vérité! On se fout d'eux autres quand ça compte. Quand le monde entier regarde.

And I'm so proud that Garou sang off-key. It only went to prove that we were not where we belong; it was their party. And all the indigenous festivities, what a beautiful way to remember Kahnawake! Finally, Quebec has taken its place in this country's hierarchy. Now, I feel good! Now, I am proud!

.....

Hier matin, j'aurais rougi si j'avais été moins fier d'être «Canadian». J'étais dans un bus pour les médias avec ma collègue Caroline Touzin. Un monsieur dans la fin de la cinquantaine, M. Robichaud, a réalisé qu'elle était journaliste. Il avait un bel accent acadien. Un homme fier de ses origines. Son fils travaille au Moncton Times comme journaliste et se bat sur le terrain pour les droits des francophones au Nouveau-Brunswick. La bataille est rude: «Les Acadiens, on ne l'a pas eu facile. On forme une nation depuis 1604. La France nous a abandonnés en 1755, les Anglais nous ont déportés en Louisiane et dans le sud des États-Unis, la moitié des 15 000 Acadiens sont morts, on a été revendus en Louisiane, les Français nous ont chassés de Saint-Pierre-et-Miquelon et on a été déplacés même en Acadie quand les loyalistes sont venus. Bien, on résiste encore et on parle français», a dit M. Robichaud.

«C'est terrible que Gaétan Boucher n'ait pas été invité. Lui, c'est un vrai Canadien. Lui, il a gagné des médailles pour son pays. Pouvez-vous me dire ce que Wayne Gretzky faisait là?»

I'm so proud to be a Canadian that I did not want to dishearten the gentleman. Mais les COVAN de ce pays ont compris. Les Québécois ne sont pas les Acadiens. Ils sont déjà prêts à se coucher. Je suis tellement content que ce soit clair et net. Qu'on l'ait montré à la face du monde. Ce pays est anglais... et multiculturel. Blow your nose with your French. Bravo, finally, strong men have taken a stand! I'm proud!

.....

Il y a 18 mois, le conseil d'administration de COVAN, dont fait partie mon ami Jacques Gauthier, a rencontré le fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté. Ça posait un paradoxe. Laliberté est québécois, nationaliste, milliardaire et un extraordinaire créateur. La rencontre a duré 20 minutes. Quand il a compris qui était assis devant lui, Laliberté s'est levé et s'est excusé. Les moteurs de son jet tournaient déjà. Il ne pouvait rester plus longtemps.

I am so proud that my VANOC told Laliberté and the Cirque du Soleil to take a hike. A French name in the ceremony would have been such a disgrace! I am proud, I'm proud, I'm proud!

C'était une belle cérémonie. Haute en couleur et poèmes. Les couleurs étaient bilingues. On m'a dit que les images à RDS étaient belles. RDS and I are so proud to be Canadian...

Ils ont réussi à me convertir.

Réjean Tremblay, La Presse, 15 février 2010.

Toujours plus vite, toujours plus risqué

Plus haut, plus vite, plus fort. Mais à quel prix? Source d'inspiration pour des générations entières d'athlètes, la devise olympique a été souvent mise à mal au fil des ans, notamment par les scandales de dopage.

Rarement toutefois aura-t-elle semblé plus tristement futile qu'hier, à Vancouver, dans les heures qui ont suivi la mort tragique du lugeur géorgien Nodar Kumaritashvili, au centre des sports de glisse de Whistler.

L'horrible accident, survenu à la sortie du dernier virage de la piste, n'a pas seulement jeté une douche froide sur des Jeux, dont le coup d'envoi menaçait déjà d'être partiellement éclipsé par la pluie et le mauvais temps.

Il a aussi rappelé au monde les risques énormes, et toujours croissants, que courent les athlètes, particulièrement aux Jeux d'hiver, dans leur perpétuel effort pour repousser leurs limites et celles de leur sport.

On pourrait former une sacrée équipe olympique avec tous les athlètes d'élite qui rateront le rendez-vous de Vancouver en raison de blessures graves. On n'a qu'à penser aux skieurs alpins John Kucera, Nicole Hosp ou Jean-Baptiste Grange, ou encore à la médaillée d'or des JO de 2006 en snowboardcross, Tanja Frieden, qui a annoncé sa retraite le mois dernier après une lacération du tendon d'Achille.

Les patineurs de vitesse courte piste vont toujours plus vite, malgré les risques de collision. Les sauteurs acrobatiques raffinent sans cesse leurs figures, ajoutant une vrille après l'autre. Les bobeurs montent à bord de bobsleighs mis au point en soufflerie dans l'espoir de gagner quelques précieux centièmes de seconde.

Plus haut, plus vite, plus fort. Et toujours plus risqué.

Le surfeur des neiges américain Shaun White, la star de son sport, a récemment avoué qu'il avait eu la frousse lorsqu'il a tenté - et réussi - pour la première fois une figure particulièrement périlleuse, lors de la Coupe du monde de Park City. «J'ai eu peur, a-t-il dit. Je n'ai jamais admis une telle chose. Mais j'ai eu peur.»

La volonté des athlètes de toujours se dépasser, au coeur même du sport d'élite, n'est toutefois pas seule en cause, comme me l'a souligné hier Jean-Luc Brassard, médaillé d'or en bosses aux Jeux de Lillehammer, en 1994.

«La différence, et on l'a bien vu en ski alpin avec toutes les blessures cette année, c'est que les organisateurs veulent tous la piste la plus sautée possible, dit Brassard, analyste de ski acrobatique pour RDS et V à Vancouver. Tout le monde veut avoir le Kitzbühel ou le Monaco de son sport et veut que le monde sache que son parcours est le plus difficile.»

Au lendemain de l'accident qui a coûté la vie à Nodar Kumaritashvili, il est permis de se demander si ce n'est pas un peu ce qui s'est passé à Whistler. La piste olympique est reconnue comme l'une des plus exigeantes de la planète et certainement la plus rapide. Peut-être trop. La vitesse de pointe à Whistler - l'Autrichien Manuel Pfister a dépassé les 154 km/h cette semaine - est d'une quinzaine de kilomètres/heure plus élevée qu'aux Jeux de Turin, il y a quatre ans, souligne Jean-Paul Baërt, analyste des épreuves de glisse pour la télé canadienne depuis les Jeux de Lillehammer, en 1994.

C'est énorme. Faut-il se surprendre du fait que plus d'une douzaine d'accidents soient survenus cette semaine, dont l'un, heureusement sans gravité, impliquait l'Italien Armin Zöggeler, double médaillé d'or olympique? «Je pense qu'ils poussent un peu trop, a dit l'Australienne Hannah Campbell-Pegg après avoir failli perdre la maîtrise de sa luge, jeudi. Jusqu'à quel point sommes-nous de petits lemmings qu'ils lancent sur la piste, des mannequins d'essai (crash test dummies)? Ce sont nos vies, après tout.»

De leur côté, les dirigeants de l'équipe canadienne devront répondre à des questions qui risquent de les mettre dans l'embarras: ont-ils contribué à la tragédie d'hier en limitant au strict minimum l'accès des athlètes étrangers à la piste dans les mois qui ont précédé les Jeux? Leur volonté de préserver l'avantage du terrain des athlètes locaux a-t-il empêché les autres concurrents de se familiariser suffisamment avec une piste aussi traîtresse?

Chose certaine, de sérieuses remises en question sont à l'ordre du jour. Les athlètes, les lugeurs comme les autres, devront faire front commun s'ils veulent éviter la répétition d'accidents comme celui d'hier.

«On pourrait aller à 200 sur nos autoroutes, mais on limite la vitesse à 100 parce qu'on dit "assez, c'est assez". Parce que sinon, c'est trop dangereux», illustre Jean-Luc Brassard.

Ironiquement, pas plus tard que jeudi, un haut dirigeant de la Fédération internationale de luge, Wolfgang Harder, a dit que, à l'avenir, il faudrait imposer de strictes limitations de vitesse aux constructeurs de pistes de luge et de bobsleigh.

Belle intention. Mais trop tard, malheureusement, pour ramener Nodar Kumaritashvili à la vie.

Jean-François Bégin, La Presse, 14 février 2010.

jeudi 11 février 2010

Il faudrait écouter ceux qui ont donné et reçu des coups

Ainsi donc, un comité d'experts, dont font partie les anciens (robustes) joueurs Eric Lindros et Jeff Beukeboom et une pléiade de professionnels de la santé, recommande l'élimination complète des bagarres au hockey.

Il affirme que l'abolition des combats sur la glace contribuera à diminuer le nombre de commotions cérébrales et les complications à long terme pour les athlètes. On mentionne aussi qu'une bagarre peut entraîner des décès inutiles.

Ceux qui lisent régulièrement cette chronique connaissent mon aversion pour les bagarres.

Les batailles au hockey ne m'ont pourtant pas toujours choqué. Deux belligérants se tapaient dessus, se dirigeaient au banc des punitions en replaçant leur équipement, en appliquant parfois un sac de glace sur leurs jointures, et c'était terminé. Comme plusieurs, je me disais candidement qu'une ou deux taloches sur la gueule, ce n'était pas dramatique, finalement.

Jusqu'à ce que mon destin croise celui de Dave Morissette et qu'il ait la générosité de me raconter sa vie - et surtout ses états d'âme - dans ses moindres détails, il y a quatre ans.

Je croyais écrire un livre sur la consommation de stéroïdes et de stimulants. J'ai réalisé, après quelques mois d'entretiens, que nous avions d'abord un ouvrage sur les affres du métier de dur à cuire.

Grâce aux confidences de Dave, j'ai compris, d'abord, ce qu'un bagarreur pouvait ressentir quand il recevait quelques bons coups de poing sur le museau.

«Je ne voyais plus clair en arrivait au banc des punitions. J'étais ébloui par mille et une couleurs, du bleu, du rouge, du jaune, du vert. Je savais que ça n'allait pas du tout. Mais personne n'a jamais rien su, pas même Gino, mon bon vieux rival qui, du banc voisin, me demandait comment ça allait.»

Personne n'a jamais rien su parce que Dave Morissette ne voulait pas montrer la moindre vulnérabilité à ses adversaires, et aussi parce qu'il craignait de perdre l'estime de ses entraîneurs.

Le dur à cuire doit vivre avec ses secrets. «Je ne parlais jamais de mes peurs ou de mes problèmes parce que j'avais une image de tough à entretenir. J'avais un statut, je n'aurais jamais pu dire que j'étais écoeuré de me battre.»

Mourir jeune?

À la toute fin de son parcours, avec les Knights de Londres, Dave Morissette était un athlète brisé.

«Je me rendais compte, en rentrant dans le vestiaire, que j'étais incapable de me souvenir du prénom de mes coéquipiers même si je jouais avec eux depuis des mois. J'étais obligé de regarder le nom inscrit sur une plaque au-dessus de leur casier pour m'aider. Mais ça m'a pris plusieurs semaines avant de me rendre compte que j'avais perdu beaucoup de mémoire...

«Le médecin m'a envoyé voir la grande spécialiste des traumatismes crâniens, la neurologue Karen Johnston. J'étais tellement mal en point que je me suis endormi pendant un de ses tests! Elle voulait savoir combien j'avais subi de commotions cérébrales au cours de ma carrière. Elle a arrêté de compter à 20...

«J'ai souffert de ce dernier incident pendant au moins un an. Je ne faisais que jouer avec mon petit garçon pendant une quinzaine de minutes et je me sentais mal. La musique, même si elle n'était pas forte, me résonnait dans le crâne. J'étais sensible à la lumière du jour. J'étais vraiment mal en point...»

Morissette a avoué avoir consommé des produits dopants afin de pouvoir tenir tête aux autres durs à cuire de la LNH, qu'il soupçonnait également de se doper. Aujourd'hui, il regrette.

«Est-ce que je m'attends à vivre vieux? Certainement pas. Ma femme n'aime pas m'entendre dire ça, mais c'est la réalité. Je suis inquiet. Chaque fois que j'ai des douleurs à la poitrine, je me pose des questions. Penser que, du jour au lendemain, mon coeur pourrait flancher, c'est ce qui me fait le plus réfléchir. J'assume ce que j'ai fait et je suis prêt à en payer le prix. Mais quand je pense à mes enfants, ça me fait peur. Il m'arrive souvent de me demander ce qu'ils vont faire si je meurs d'une crise cardiaque. Est-ce que le risque en valait la peine? Aujourd'hui, à 33 ans, avec une femme et deux jeunes enfants, ma carrière sportive terminée, je vois les choses différemment. Ce n'est plus drôle du tout.»

Dave Morissette, un athlète talentueux dans les rangs Midget AAA, quatrième choix au total au repêchage de la LHJMQ, a été pris dans un engrenage. Dès les rangs juniors, on lui a demandé de mettre en valeur uniquement ses habiletés pugilistiques, au détriment du reste. Qui sait si on n'aurait pas réussi à faire de lui un bon joueur, avec le physique et le tir qu'il possédait?

Demandez aujourd'hui à Morissette s'il souhaite voir ses fils suivre ses traces? Posez la même question à Enrico Ciccone. À Gilles Lupien. À Dave Schultz, l'ancien redresseur de torts des Flyers dont la voix s'élève désormais dans le camp des anti-bagarres. Et maintenant à Lindros et à Beukeboom.

Il me semble qu'on devrait commencer à écouter ceux qui ont reçu les taloches.

Mathias Brunet, La Presse, 14 février 2009.

mardi 9 février 2010

Les enfants paresseux n'existent pas

Deux écoles américaines de Géorgie, déplorant les médiocres résultats scolaires de leur clientèle, ont décidé de payer les mauvais élèves 8$ l'heure pour qu'ils participent à des séances de soutien scolaire, selon un texte de l'Agence France Presse.

Ça se passe à l'école secondaire Creekside High, de Fairburn, près d'Atlanta. Les enfants sont enthousiastes, le directeur de l'école se félicite. La vingtaine d'élèves sélectionnés en fonction de leurs mauvais résultats peuvent gagner jusqu'à 32 $ par semaine s'ils sont assidus et même empocher une prime de 125 $ à la fin de l'exercice s'ils réussissent à obtenir un B dans leurs devoirs de science ou de mathématique.

Vous en voulez davantage? Sur le site de LCI.fr on apprend que les enfants du village espagnol de Noblejas seront désormais payés pour lire. Ainsi en a décidé leur maire, Agustin Jimenez Crespo, persuadé que cette initiative "pionnière" leur fera aimer la lecture. Les enfants des écoles primaires du village recevront un Euro par heure passée à lire à la bibliothèque.

Ça doit faire une semaine que je lis et relis ces deux nouvelles gardées précieusement dans ma banque de nouvelles insolites. J'essaie de comprendre la logique derrière tout cela. Hormis un manque total d'imagination de la part de ces deux dirigeants, je n'en trouve pas. L'argent peut nous motiver à travailler pour un certain temps, même si on déteste notre travail, mais c'est bien connu il me semble, à long terme, la motivation basée uniquement sur une récompense monétaire finit par s'éteindre aussi rapidement qu'elle est apparue. On se met alors à traîner de la patte, notre productivité et notre efficacité diminue, on emmerde les gens autour de nous et on finit tomber malade pour ne plus avoir à accomplir une tâche qui nous déplaît.

Les humains carburent au plaisir bien plus qu'à l'argent, j'en suis convaincue. C'est encore plus vrai pour les enfants. Si nos jeunes n'aiment pas lire ou qu'ils n'arrivent plus à se motiver en classe, c'est en général parce qu'ils n'y trouvent aucun plaisir, n'en retirent aucune satisfaction personnelle ou qu'ils n'arrivent pas à trouver un sens à ce qu'on leur demande d'accomplir. Il arrive aussi que la tâche soit au dessus de leurs capacités ou en deçà. Trop difficile ou trop facile, c'est du pareil au même. Ils finissent par s'emmerder et s'enfuient dans leurs rêves, là où ils trouvent encore un peu de plaisir. Dans certains cas, ils sont beaucoup trop préoccupés par leurs problèmes familiaux pour pouvoir s'intéresser à quoique ce soit. Les enfants paresseux n'existent pas, m'a dit un jour un professeur d'université que je respecte énormément. Il n'y a que des enfants démotivés entourés d'adultes tout aussi démotivés qui ont renoncé à trouver la véritable source du problème de démotivation auquel ils sont confronté.

Rénée Laurin, Canoe, 13 février 2008.

lundi 8 février 2010

Cote en hausse, cote en baisse

Fearless, de la chanteuse country-pop Taylor Swift, 20 ans, a été sacré dimanche meilleur album de l'année, toutes catégories confondues, à la soirée des Grammy.

Une collection de chansonnettes rose bonbon sur les fantasmes chastes d'une ingénue qui attend patiemment son prince charmant. «Tu seras mon prince, je serai ta princesse.» (chanson no 1) «Tu n'es pas une princesse, ceci n'est pas un conte de fées.» (chanson no 2). En cas d'indisponibilité, le prince est remplacé - évidemment - par un joueur de football (chanson no 3).

En voyant dimanche cette Avril Lavigne du country chanter de sa voix de fausset un duo avec Stevie Nicks, puis recevoir le prix le plus prestigieux de la soirée, je me suis dit que les Grammy avaient atteint le fond du baril.

Les mononcles des Grammy se sont ridiculisés autrefois en remettant le prix de la «meilleure performance heavy metal» à Jethro Tull plutôt qu'à Metallica (1989) ou en décernant le prix de l'album de l'année à Two Against Nature de Steely Dan plutôt qu'à Kid A de Radiohead (2001). Deux exemples parmi tant d'autres. Les Grammy, de mémoire de mélomane, ne sont pas dans le coup depuis au moins 25 ans.

Cette année, tentant désespérément de dépoussiérer son image, l'industrie du disque américaine a fait un effort pour mettre en valeur de jeunes artistes pop au goût du jour: les Lady Gaga et autres Beyoncé. Et comme un vieux beau qui porte un perfecto et un pantalon de cuir seyant en espérant dégager une image jeune et populaire, elle a plébiscité un disque country-pop sans substance, destiné à un public d'adolescentes de 15 ans, vendu à quelque 3 millions d'exemplaires.

Résultat: le gala des Grammy a récolté sa meilleure cote d'écoute depuis six ans. Et nui davantage à une réputation déjà mise à mal par des années de choix douteux (Milli Vanilli, les amis?).

La soirée des Oscars, contrairement à celle des Grammy, a toujours réussi, malgré des erreurs de parcours, à maintenir un minimum de respectabilité. Ses choix, américanocentristes et consensuels, ont souvent été contestés (Shakespeare in Love, meilleur film devant The Thin Red Line?), mais pas de manière systématique.

Or, cette année, à l'instar de l'industrie du disque, qui visait clairement le public d'American Idol, Hollywood a décidé à son tour de racoler le grand public avec des films plus populaires. Ce qui explique la décision, ridicule, de porter de cinq à dix le nombre de finalistes à l'Oscar du meilleur film.

Les finalistes dévoilés mardi confirment les pires craintes. Certains espéraient que le fait de doubler le nombre de concurrents dans la plus prestigieuse catégorie du gala permettrait à des oeuvres plus obscures, plus difficiles, voire étrangères, de se faufiler parmi les finalistes. Not! Pourquoi sélectionner Le ruban blanc ou Un prophète, les deux meilleurs films d'une année cinéma passable, quand on peut faire une place au soleil à The Blind Side, un feel-good movie inspiré d'un fait vécu, ou District 9, une métaphore de l'apartheid enfouie sous une épaisse couche d'explosions de corps humains et extraterrestres?

Pourquoi? Parce que The Blind Side, l'histoire d'un sans-abri devenu vedette de la NFL, a engrangé 238 millions au box-office et que District 9, un thriller linéaire peuplé de langoustines géantes et anorexiques, a cumulé des recettes de 115 millions.

Cinq des dix candidats à l'Oscar du meilleur film ont d'ailleurs amassé plus de 100 millions aux guichets (Avatar a dépassé les 600 millions, en Amérique du Nord seulement). En comparaison, l'an dernier, un seul des cinq finalistes avait franchi ce cap: The Curious Case of Benjamin Button. Le box-office de The Hurt Locker, le favori de la critique, et principal rival d'Avatar? Douze millions de dollars. David contre Goliath.

On l'a répété maintes fois: le virage populiste des Oscars a été inspiré notamment par le tollé qu'avait soulevé la non-sélection de The Dark Knight, l'archipopulaire (et surfait) Batman de Christopher Nolan, en 2009. Il est aussi le résultat d'un déclin constant des cotes d'écoute de la Soirée des Oscars, aux prises, bon an, mal an, avec des films d'auteurs plus ou moins confidentiels, destinés à un public majeur, vacciné et averti. Bref, un véritable repoussoir d'audimat, comme diraient les Français.

Vous pouvez déjà parier un p'tit 20 $ que la prochaine soirée des Oscars sera la plus populaire depuis 1998, l'année record de Titanic (du même réalisateur qu'Avatar, James Cameron), avec ses 55 millions de téléspectateurs. L'an dernier, «seulement» 36 millions de personnes étaient à l'écoute.

En cherchant à tout prix à faire jeune et populaire, m'est avis que le gala des Oscars se tire dans le pied autant que celui des Grammy. Il brade sa crédibilité. District 9, un film à petit budget tourné en Afrique du Sud, est bien réalisé. Moins abruti que la grande majorité des films d'action et de science-fiction du genre. Il reste qu'essentiellement, pendant la dernière demi-heure de ce jeu vidéo fait film, on observe des corps exploser comme des tomates trop mûres.

«Si quelqu'un m'avait dit pendant le tournage que le film serait finaliste à l'Oscar du meilleur film, j'aurais ri. C'est absurde», a déclaré mardi le réalisateur et coscénariste de District 9, Neill Bloomkamp. Absurde, en effet.

Il faudra pourtant s'y faire. De plus en plus, les galas télévisés sont devenus esclaves de la cote d'écoute, soumis aux diktats des industries dont ils sont, ni plus ni moins, les vitrines. Plus qu'une célébration de l'excellence, les Oscars comme les Grammy sont, avant toute chose, une affaire de gros sous.

Marc Cassivi, La Presse, 4 février 2010.