mardi 23 mars 2010

Parents responsables recherchés

Il y a quelques jours, dans l'État du Rhode Island, les membres d'une commission scolaire ont décidé de renvoyer le directeur, les profs, les administrateurs et tout le personnel d'une école secondaire (93 personnes!) parce qu'ils n'étaient pas contents de la performance des élèves.


«Tout l'monde dehors! On recommence à neuf...»

Cette décision, qui a fait couler beaucoup d'encre, a été défendue par Barack Obama lui-même.

DES BOUCS ÉMISSAIRES FACILES

Dans une chronique savoureuse publiée sur le site du journal Huffington Post, le comédien Bill Maher a dit que ce ne sont pas les profs qu'on aurait dû congédier, mais les parents des enfants.

«C'est trop facile de blâmer les professeurs pour l'échec de nos enfants, écrit-il. Ce sont des boucs émissaires parfaits. Mais si l'on se fie aux études, les profs ne font aucune différence. L'important, c'est l'attitude et l'implication des parents. Tu as beau envoyer ton enfant dans une école privée qui te coûte 20 000$ par année, si tu ne t'impliques pas dans son éducation et s'il n'y a aucun livre chez toi, il va couler, point.»

«Quand il n'y a ni livre ni parents à la maison, qui élève les enfants ? La télévision. Nous laissons la télé transformer nos enfants en idiots finis.»

LE COMPTOIR DES PLAINTES

C'est le réflexe de l'époque. Nos enfants ratent leurs examens?

C'est la faute des profs. Ils engraissent? C'est la faute de MacDo. Ils sont violents? C'est la faute de Nintendo. Ils sont vulgaires? C'est la faute des vidéoclips. Ils sont obsédés par le sexe? C'est la faute d'Internet. Toujours la faute des autres, jamais la nôtre. Nous sommes tous des victimes du système. Dans Lire, c'est la vie, un passionnant recueil de chroniques qu'il vient de publier chez Boréal, Jacques Godbout pourfend cette attitude:

«Les parlements sont devenus des services d'aménagement des droits et des plaintes, écrit-il. Les diverses communautés qui forment la société sont dans une perpétuelle concurrence victimaire: les homosexuels, les handicapés, les églises, les noirs, les réfugiés, les cancéreux, les chômeurs, les syndiqués, les artistes demandent tous à l'État de leur venir en aide.»

«Il s'agit moins de trouver comment vivre ensemble que de tirer profit, chacun pour soi, des richesses accumulées. Le Québec n'est plus une patrie, mais un État protecteur. Une compagnie d'assurances.»

«AIDEZ-NOUS!»

On pourrait ajouter les parents à cette longue liste de victimes.

«Aidez-nous, nous sommes débordés! Ouvrez les garderies plus tôt, fermez-les plus tard, éduquez nos enfants, élevez- les, instruisez-les, aimez-les, montrez-leur les bonnes manières, donnez-leur le goût de lire, attisez leur curiosité, faites-les bouger, rendez-les plus ouverts, altruistes, compatissants, gentils, généreux, car nous, parents, n'avons ni le temps ni l'énergie...»

Certains parents voudraient que leurs enfants soient comme des ordinateurs. Vous les branchez, ils sont hyperfonctionnels et, toutes les deux semaines, ils mettent automatiquement leurs logiciels à jour sans qu'on ait à lever le petit doigt.

Malheureusement, ce n'est pas comme ça que ça marche...

DRÔLE D'HÉRITAGE

En terminant, je vous livre la meilleure citation que j'ai lue sur les erreurs des parents. Elle provient du psychologue américain James Dobson:

«Nous nous efforçons de donner à nos enfants tout ce qui nous a manqué dans notre jeunesse et nous négligeons de leur donner ce dont nous avons bénéficié.»


Richard Martineau, Journal de Montréal, 14 mars 2010.


lundi 22 mars 2010

Sexe, mensonges et téléréalité

Elle s'appelle Misty et elle a 19 ans. Misty n'est pas son nom «d'artiste». C'est son vrai nom. Elle vient de Vaudreuil, étudie à Concordia et a eu la très mauvaise idée de devenir candidate à Occupation double cet automne.

Occupation double, pour les lecteurs qui ne s'intéressent qu'aux documentaires animaliers, est une téléréalité. C'est-à-dire une émission qui donne l'illusion de situations réelles, en magnifiant le cul, la cupidité et la stupidité de concurrents avides de célébrité.

Un documentaire animalier d'un autre type, avec des bêtes recrutées dans les salons de bronzage de la province, maintenues en captivité jusqu'à ce qu'un mâle dominant choisisse une femelle (ou vice-versa) pour décorer sa maison préfabriquée en banlieue de Terrebonne.

Occupation double est très populaire. Près de 2 millions de téléspectateurs chaque soir de diffusion. C'est aussi une téléréalité qui tente de se donner un lustre de respectabilité et un vernis «glamour» en investissant davantage dans sa production que sa concurrente Loft Story.

Dans les faits, Occupation double est le restaurant tape-à-l'oeil du boulevard Saint-Laurent, tout aussi dégueulasse mais 20 fois plus cher que le shack à patates de la route 327 qu'est Loft Story. Au moins Loft Story n'essaie pas de nous faire croire qu'on lui a accordé une étoile Michelin.

J'en reviens à Misty. Il y a deux semaines, à heure de grande écoute, Occupation double a diffusé des images sans équivoque de cette jeune femme de 19 ans, au lit avec un certain Mathieu, de Longueuil.

«Je veux pas que tu penses que je suis une fille facile», lui murmure Misty. «J'ai jamais autant eu envie de faire l'amour», lui répond Mathieu, que l'on a pu voir dans le lit d'une autre candidate, 33 minutes plus tôt dans la même émission.

Les ébats de Misty et de Mathieu ont été filmés sans qu'ils ne le sachent, dans un chalet, par une caméra cachée. À leur insu. Un diffuseur avec le moindre souci de préserver l'intégrité de ses jeunes «vedettes», avec la moindre parcelle de bon goût, aurait choisi de ne pas diffuser ces images. Par circonspection et par respect.

Pas TVA. Le diffuseur d'Occupation double a préféré racoler quelque 2 millions de personnes avec une blonde de 19 ans en bobettes, qui succombe aux avances insistantes d'un plombier de 24 ans. «T'es sûr qu'y a pas de caméra? Je t'aime.»

Ce qui me dérange, ce n'est pas que ladite scène ait été diffusée à 20 h 34 et que le Code de déontologie de l'Association canadienne des radiodiffuseurs précise qu'on ne devrait pas voir de sexe au petit écran avant 21h.

Ce qui me dérange, ce n'est pas non plus qu'Occupation double soit au deuxième rang des émissions les plus populaires chez les 2-11 ans ni qu'elle soit deux fois plus regardée que toutes les émissions jeunesse les plus populaires dans cette tranche d'âge.

Ce n'est pas enfin que les forums de discussion du web aient fait leurs choux gras de cette affaire en traitant la jeune Misty de «pute», «d'agace», de «connasse», et de tout ce que vous pouvez imaginer de pire encore venant de blogueurs sans discernement.

Ce qui me dérange, c'est le sensationnalisme et le racolage de bas étage.

TVA a diffusé les images d'une fille à peine majeure qui baise devant la caméra. Des images, certes plus suggestives qu'explicites (elles ont évidemment été censurées), mais bien RÉELLES. Des images susceptibles d'émoustiller le mononcle autant que d'intriguer sa nièce de 5 ans, et de nourrir les potins d'ados sur le dos d'une fille de 19 ans qui «aurait dû savoir».

La défense est toute prête, consignée dans un document qui exempte le diffuseur de toute responsabilité. Elle «aurait dû savoir» qu'elle était filmée. C'est dans son contrat. «Ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés, concède la porte-parole de TVA, Nicole Tardif. Mais on ne peut dire qu'ils ont été filmés à leur insu. Ils savent qu'ils sont filmés en tout temps, même s'ils l'oublient souvent lorsqu'ils sont en voyage.»

Je soumets au diffuseur que dans ce cas précis, Misty, 19 ans, ne le savait pas (À l'insu de: «sans en avoir conscience»; Petit Robert). Et que cette scène, à cause de l'internet, risque de lui coller à la peau bien longtemps.

Qu'on me comprenne bien. Je n'ai rien contre la représentation du sexe à la télévision entre adultes consentants. Le problème ici en est surtout un, justement, de consentement. Misty a peut-être consenti il y a plusieurs semaines à être filmée pendant son séjour à Occupation double. Mais ce consentement ne peut être assimilé à un consentement libre et éclairé de voir ses ébats sexuels épiés par près de 2 millions de personnes alors qu'elle croit de bonne foi être à l'abri des caméras.

Misty et Mathieu ont fait l'amour parce qu'ils étaient convaincus qu'ils n'étaient pas filmés. TVA l'admet, mais a tout de même choisi de violer leur intimité en diffusant ces images. Parce que ça attire plus de téléspectateurs. Parce que la téléréalité peut servir, semble-t-il, d'exutoire à tous les voyeurismes.

Si s'en formaliser, c'est se montrer puritain, alors je plaide coupable. Peut-être que Misty elle-même ne s'en formalisera pas. Pour participer à une téléréalité, il faut déjà en quelque sorte renoncer à sa dignité.

Il reste que je me demande à qui a profité la télédiffusion de cette scène. À Misty, qui se fait traiter de putain dans tous les recoins du web? Ou à TVA, qui offre aux abonnés d'Illico, à tout moment, un accès exclusif aux «moments mêmes les plus intimes» des concurrents d'Occupation double?

Attendez que j'y pense un peu...

Marc Cassivi, La Presse, 13 novembre 2008.

mercredi 17 mars 2010

Note2be : Le site pour noter ses professeurs!

C’est en janvier dernier qu’à été mis en ligne le site Internet note2be. Sur celui-là, les élèves peuvent noter leurs professeurs. N’importe lequel d’entre nous peut le faire : il suffit de s’inscrire, de choisir son établissement, et d’y marquer ses professeurs (si ceux là n’y sont pas déjà, mais pour JDA aucun n’y ait encore !). Si ce concept fait rire lorsque l’on lit ces lignes, il en est tout autre chose pour certains parents d’élèves et professeurs (qui n’ont manifestement pas du avoir les meilleures notes J). Ils n’hésitent pas à emmener le site en justice.

La création de ce site vient d’une constatation qu’un bon nombre d’entre nous ne pourront pas contester : les professeurs sont souvent évalués selon l’examen d’un inspecteur et suivant les bonnes notes des meilleurs élèves, mais jamais selon notre point de vue. Cette idée est d’ailleurs un simple copié-collé de la 5ème proposition du rapport Attali (un rapport qui a été remis le 25 janvier dernier au chef de l’Etat, et dont le but est de libérer la croissance française).

Stéphane Cola, le co-fondateur de ce site, avoue sur note2be qu’il a eu l’idée de créer ce site Internet, mode d’expression favori de la jeunesse, afin « d’instaurer un équilibre dans la relation élève/professeur » et « de créer ainsi une émulation positive». De plus, il n’est pas question d’opposer professeur et élève, mais de donner la parole à tous afin d’améliorer le système éducatif français. « Ainsi, avec note2be.com, l’élève ne subit plus, il s’exprime. La relation professeur/élève peut ainsi s’établir sur une base plus égalitaire. » Peut-être, mais il aurait quand même pu demander l’avis au gouvernement avant d’agir tout seul.

Ainsi, une fois l’élève inscrit (et bien installé devant son ordinateur), de nombreux critères de notation lui sont offerts (le site est gratuit) : si le professeur est intéressant, clair, disponible, équitable, respecté, motivés pour finalement conclure à une moyenne sur 20. Et tout est strictement lié à la pédagogie : aucun jugement de valeur sur les professeurs, mais une appréciation fine de leurs qualités professionnelles.

Le site Internet est lancé fin janvier, et beaucoup de surfeurs s’y rendent, grâce notamment à son importante médiatisation (sur plusieurs radios, à la TV). Les élèves en suivent le principe, et les premiers votent au grand désarroi de certains professeurs qui voient publier leur identité sur le Web, et qui ne peuvent en plus rien maîtriser puisqu’ils n’ont aucun accès. Ils peuvent seulement réagir sur les forums.

Mais les forums, ce n’est pas le moyen qu’ils vont utiliser pour exprimer leur mécontentement : on compte aujourd’hui déjà plus de 17 plaintes et 160 signalements des professeurs et syndicats d’enseignants à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). En conséquent, trois de ses agents se sont rendus dans les locaux du site mercredi 13 février dernier, afin d’effectuer « en urgence un contrôle sur place ». Les suites données à cette affaire seront rendus le 6 mars prochain, ce délai est rendu nécessaire par le respect du principe du contradictoire.

Informé, le ministre de l’éducation Xavier Darcos a lui aussi affirmé qu’il n’approuvait pas l’existence d’un tel site, jugeant que le travail d’évaluation des professeurs a été donné à l’Education Nationale et que cela devait y rester. Il attend le jugement de la CNIL.

Mais en attendant, les enseignants ne comptent pas en rester là ! Des choses étranges se passent sur note2be : de nouveaux professeurs au nom farfelus (Rouge Bioman, Pierre Quyroul), des messages publiés trente fois sur le forum, ce qui le rend inaccessible, des messages étranges publiés dessus (une institutrice qui dit que son ex est un fou, qu’elle a du changer de numéro et de ville pour l’éviter, et que là il l’a retrouvé !) Aussi, ils viennent de lancer leur blog Contrenote2be où ils exposent leurs idées Ces profs, pire que nous dans la cour de récré J.

Pourtant, des sites comparables ont d’ores et déjà fait leurs preuves en Allemagne, en Grande-Bretagne, au Canada et aux Etats-Unis. Le site américain ratemyprofessors regroupe 6 000 établissements, 1 million de professeurs et 6 millions d’opinions. Quel avenir pour ce type de site en France ?

Pierrick Lafarge, Le blog lycéen, 20 février 2008.

Duplicata

«Les jeunes et la culture», c'était le titre de notre cahier Plus de samedi. La Presse a posé une cinquantaine de questions à 600 élèves de 10 cégeps. Le résultat est confondant.

Quels sont vos artistes québécois préférés? Louis-José Houde, Martin Matte, Rachid Badouri. Quels sont vos artistes préférés - pas forcément québécois, vos artistes dans le monde, dans la vie? (La vie est un festin où s'ouvrent tous les coeurs... Je cite Rimbaud ou à peu près - ces jeunes-là doivent bien avoir des cours de poésie au cégep, non?) Leur réponse? Exactement la même que pour la question précédente: Louis-José Houde, Martin Matte, Rachid Badouri.

Quelles sont vos émissions québécoises favorites? Tout le monde en parle, Les Parent, Dieu merci, Trauma, Yamaska, Lance et compte. Vos films favoris (dans le monde, dans toute l'histoire du cinéma - ces enfants-là doivent bien avoir un prof de cinéma qui leur a déjà parlé de Dogville, non?). Leurs réponses: Avatar, De père en flic. Vos films québécois favoris: De père en flic, Bon Cop, Bad Cop. Groupes ou chanteurs québécois favoris: les Cowboys Fringants, Kaïn, Jean Leloup, Céline Dion. Leur auteur favori? Patrick Senécal.

Confondant, disais-je. Surtout le titre de notre enquête: «Les jeunes et la culture». Les jeunes? Les JEUNES? Ciel, comme ils sont vieux pour leur âge! Remarquez bien, rien de très neuf sous le soleil. Ça a toujours été ça. On en fait grand cas, les jeunes par-ci, les jeunes par-là, on donne des noms à leurs générations, génération Z, génération Y, mais au fond, c'est toujours la génération duplicata.

La génération toujours recommencée. Et toujours à genoux devant l'or et la merde.

Vous vous souvenez du disque tout noir de Metallica? Something's wrong, shut the light/Heavy thoughts tonight/And they aren't of Snow White.

Pierre Foglia, La Presse, 16 février 2010.

lundi 15 mars 2010

Fausse route, faux débat

Le décrochage scolaire continue à augmenter. La vieille proposition de couper les subventions aux écoles privées relève donc la tête. Si seulement c'était si simple.

Quand une école se vide, c'est que les parents ne lui font plus confiance. C'est ce qui arrive à plusieurs écoles publiques. Alors, que faire? Regagner la confiance des parents en leur offrant ce qu'ils veulent?

Bien sûr que non. Pour stopper l'hémorragie, on y retiendra captifs enfants et parents en mettant l'école privée à un prix que seuls les riches pourront se payer. Une vraie mesure «progressiste» comme on les aime au Québec

CHOISIR

Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Précisément parce qu'elle est subventionnée, l'école privée coûte autour de 4 000 $ par année par enfant. C'est accessible à la plupart des gens, pour peu qu'ils se disent qu'une auto de 16 000 $ roule aussi bien qu'une autre de 20 000 $, ou qu'un écran plat n'est pas indispensable.

Un carton de cigarettes Players coûte 66,99 $ avant taxes. Question de valeurs, j'imagine.

Il est vrai que l'école privée sélectionne. Mais elle sélectionne sur la base du mérite scolaire des enfants et non du portefeuille des parents. Qu'on puisse lui imposer d'autres exigences, ça se discute.

Mais coupez les subventions aux écoles privées et qu'arrivera-t-il? Elles devront exiger des frais à la hauteur du coût réel de la formation. Les parents qui n'en auront plus les moyens devront renvoyer leurs enfants dans le secteur public, qui verra ses coûts augmenter. Et nombre d'écoles privées fermeront, faute de clientèle.

Les écoles privées restantes seraient réservées non plus aux enfants talentueux, d'où qu'ils viennent, mais à ceux, quel que soit leur talent, dont les parents en auraient les moyens. Est-ce ce qu'on veut?

La fin des subventions signifierait que, même si un enfant travaille fort, il n'aura plus accès à l'institution de son choix si ses parents n'en ont pas les moyens. Lamentable.

Mais rien n'est simple. Comment expliquer qu'il y a des écoles publiques de grande qualité? Comment expliquer qu'il y en a qui font des bonds de deux cents places dans ces classements qu'on dénonce, mais que tout le monde consulte?

Et où sont les preuves que la performance d'un élève en difficulté s'améliore parce qu'on le force à coexister avec un autre qui réussit sans problème?

LUTTER

Dans les écoles publiques qui réussissent, que trouve-t-on invariablement? Des directeurs à poigne, de la discipline, des enseignants qui aiment leur métier, des parents qui s'occupent de leurs enfants.

Comme par hasard, on y livre souvent un combat quotidien contre les conventions collectives à la soviétique, la bêtise de certaines décisions des commissions scolaires et les théories fumeuses des intégristes de la psychopédagogie. Le cas de l'école Louis-Riel, située dans un quartier difficile, est demeuré célèbre.

Tout le Québec d'aujourd'hui est dans ce débat. Chez nous, le réflexe premier est toujours de penser que pour aider les uns, il faut forcément réduire la liberté des autres. Moins fatigant, n'est-ce pas?

Mes propres enfants fréquentent l'école primaire au coin de la rue, et j'en suis fort satisfait. Elle est publique.

Joseph Facal, Journal de Montréal, 16 février 2009

samedi 13 mars 2010

Tuer comme un homme

Remettons d’abord les pendules à l’heure. Oubliez les Brigitte Bardot, les Pamela Anderson et les Paul McCartney qui tentent encore de nous bourrer le crâne sur la situation des phoques au Canada. Bien sûr, je peux comprendre que notre jugement puisse être altéré par les images surexploitées de ces mignons bébés phoques gisant dans leur sang. Le problème, c’est que la raison principale pour laquelle ces vedettes sont en guerre n’est finalement pas fondée.

Les phoques sont-ils réellement en danger au Canada?

La réponse est non. En fait, on compte environ six millions de phoques du Groenland sur la côte est du Canada, soit environ le triple de la population de phoques des années 1970. En effet, le gouvernement avait alors imposé l’arrêt complet de la chasse après avoir constaté une baisse importante du nombre de ce mammifère marin. Mais depuis, la situation semble complètement rétablie.

Ma question est la suivante: sachant que la population de phoques n’est plus en danger, est-ce que ça donne le droit aux chasseurs de les faire souffrir avant de les tuer?

C’est justement pour remédier à cette situation que le gouvernement du Canada a introduit cette semaine une nouvelle législation afin de garantir la mort rapide et peu douloureuse des phoques. Cette nouvelle législation implique un procédé en trois étapes que les chasseurs devront suivre à la lettre. Ainsi, après avoir assommé ou tiré sur le phoque, le chasseur devra regarder ses yeux pour s’assurer qu’il est mort. S’il ne l’est pas, le chasseur doit couper la principale artère de l’animal.

Cette initiative a pour but de rendre la chasse aux phoques plus humaine et moins barbare…

L’humain

Humain. Est-ce que tuer un animal peut vraiment être fait d’une façon plus humaine? Voici ce que l’on dit dans le Petit Robert à propos du mot humain: «Qui est compréhensif et compatissant», agir «Avec humanité, bonté, générosité».

Ouf.

Quand on sait que les chasseurs battent à mort des centaines de milliers de phoques chaque année à l’aide d’un gourdin, un gros bâton lourd et solide, j’ai un peu de réserve lorsque Kevin Stringer, du département fédéral du Canada pour la pêcherie et les océans, essaie de me faire croire qu’on tente réellement de rendre la chasse aux phoques plus humaine et moins barbare.

À la suite de la Commission Malouf, mise sur pied après la campagne de Brigitte Bardot en 1970, on révélait que le gourdin était le meilleur moyen de tuer un phoque. En effet, le coup de gourdin détruit le cervelet, le centre des sensations et le siège du système sympathique qui régit les automatismes comme le cœur et la respiration.

Mais pour cela, il faut qu’il soit assené au bon endroit…ce qui est rarement fait. Par conséquent, les phoques sont souvent encore en vie lorsqu’ils sont empilés sur le bateau des chasseurs et peuvent souffrir pour encore plusieurs heures. En fait, jusqu’à ce qu’ils succombent à leur blessure.

Les groupes écologistes radicaux, comme l’IFAW, ne mènent peut-être pas une campagne complètement transparente sur la situation des phoques au Canada. Mais pour ce qui est de la barbarie avec laquelle on massacre les phoques, je suis entièrement d’accord avec eux. Parce que même si on impose dorénavant un procédé pour s’assurer que le phoque est bien mort, il n’y aura pas plus d’inspecteurs pour contrôler et s’assurer que le procédé est vraiment suivi.

Battre à mort un phoque ne peut pas être fait d’une façon compréhensive et compatissante, avec bonté, humanité et générosité. La définition de l’«humain» selon le Petit Robert ne s’applique donc pas du tout à la chasse aux phoques.

Mais qu’est-ce que ce mot veut réellement dire?

Parce que quand je regarde ce que l’«humain» est capable de faire comme barbarie, quand je regarde les guerres, les génocides et les Robert Pickton de ce monde, je me dis que, finalement, c’est peut-être le Petit Robert qui se trompe.

Virginie Roy, Canoë, 12 mars 2008


mercredi 10 mars 2010

Les moumounes

Avez-vous lu ça? Sur les coffrets des meilleurs épisodes des dix premières années de la série pour enfants Sesame Street, on a publié un avertissement aux parents, affirmant que les vieux épisodes de cette série-culte «pourraient ne pas convenir aux enfants d'âge préscolaire d'aujourd'hui...».

Pourquoi? Parce que Cookie Monster mange trop de biscuits (le gras trans, c'est pas bon). Parce que dans un épisode, on le voit avec une pipe à la bouche (fumer, c'est dangereux). Et parce que Grouch a trop mauvais caractère et qu'il est toujours en train de bougonner (la pensée négative mène à la dépression).

Paraît que ça donne le mauvais exemple aux enfants...

La police des enfants

On est en train de virer complètement fou avec la sécurité.

Quand j'étais ti-cul, je jouais dans les ruelles de Verdun, je construisais des bolides avec de vieilles boîtes de bois et des roues de carrosses, je fabriquais des arbalètes, je jouais aux cow-boys et aux Indiens avec des pistolets en plastique, je grimpais sur les toits des hangars, je jouais à la cachette BBQ avec les p'tites voisines, je faisais fumer des grenouilles, je fabriquais des bombes puantes avec mon jeu de chimie, je collectionnais les monstres à coller et je projetais des balles de tennis dans les airs grâce à une sorte de bazooka qu'on fabriquait avec des canettes vides et du gaz à briquet.

Aujourd'hui, plus moyen de sortir un enfant sans l'enduire de crème solaire et lui mettre des jambières, des protège- coudes et un casque.

Et si jamais fiston essaie de frencher la fille des voisins, la DPJ débarque et enquête sur tous les membres de la famille pour savoir pourquoi Junior est un délinquant sexuel.

Dans la ouate

Après ça, on se demande pourquoi nos enfants nous envoient chier.

Ils nous envoient chier parce que c'est leur seule façon de faire sortir la vapeur!

C'est leur seule façon d'appréhender le risque, de sortir du rang!

On est en train de transformer nos enfants en moumounes. Et, de grâce, n'appelez pas Gai Écoute: quand je dis «moumounes», je ne dis pas «gais».

Je connais des gais qui ne sont pas moumounes, et des straight qui sont ultra-moumounes. La moumounerie n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle.

Une moumoune, c'est une personne qui a peur de tout, qui vit dans la ouate, et qui hyperventile dès qu'on la sort un tant soit peu de sa zone de confort.

Les mômans

Je sais que je vais me faire des ennemis auprès de certaines féministes, mais je m'en sacre: on est une société de mômans.

Même les pères agissent en mômans. Au lieu d'encourager leurs enfants à prendre des risques, à explorer le monde et à sortir de la jupe de leur mère, les «nouveaux» pères se comportent comme des mômans. Ils surprotègent, ils poupounent...

Les spécialistes en psychologie infantile se demandent si l'on devrait laisser les couples de lesbiennes adopter des enfants. Pourquoi pas? Ça fait des années que les enfants québécois sont élevés par deux mômans!!!

La vraie môman qui a des seins, et l'autre môman qui a un pénis.

Tant qu'à faire, aussi bien faire élever les enfants par deux femmes, non? Au moins, ça serait clair!

Richard Martineau, Journal de Montréal, 26 novembre 2007

Awaille, dépêche!

«On peut pas laisser les vidanges icitte!» «Agrippe-toi, quel fun noir!» «Awaille! Dépêche!»

Ce sont les exemples de traduction «à la québécoise» que citait dernièrement, dans sa chronique du Journal de Montréal, notre collègue Benoit Aubin.

La compagnie Nintendo, fabricant américain de jeux vidéo, a décidé, sans y être obligée, de produire une version française du jeu «Super Mario» pour le marché québécois. Et voilà ce que ça donne: des expressions traduites, comme le dit Aubin, «dans un français atroce, délinquant et déplorable, comme on n'en trouve que chez nous».

On est ici en plein paradoxe. D'une part, on se réjouit de ce que cette grosse entreprise américaine veuille servir les Québécois francophones dans leur langue - une chose qui aurait été absolument impensable il y a 30 ans. D'autre part, on s'attriste de constater que dans ce domaine comme dans tant d'autres, ce que l'on nous sert, loin d'être du français, est une sorte de dialecte impossible à comprendre dans le reste de la francophonie.

Ne blâmons pas Nintendo. Cette langue-là, c'est celle que tolère - que pratique! - une grande partie de nos élites.

C'est cela qui a changé: naguère, les Québécois qui avaient eu la chance d'accéder à l'instruction s'efforçaient de s'exprimer correctement. Aujourd'hui, les gens instruits, bien plus nombreux qu'autrefois, adoptent - par coquetterie, par une sorte de snobisme à rebours, ou, dans le cas des amuseurs publics, pour élargir leur audience - la langue relâchée farcie de sacres qui était autrefois le lot de ceux qui avaient quitté l'école avant la fin du primaire.

Je cite Aubin: «Trente ans de batailles linguistiques pour établir le français comme langue commune d'usage public au Québec. Dix ans d'Internet qui ont donné un droit de cité dans le cyberespace à notre langue et à notre culture qu'on croyait menacées à court terme. Et pour aboutir à quoi? À Super Mario disant: «Cette job est pas pantoute facile!»

Il y a bien des gens que cette situation désespère, dont le directeur des études du cégep de Saint-Jérôme, Robert Ducharme, qui est aussi président de la Commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps.

Dans un récent courriel, M. Ducharme plaidait en faveur d'un «chantier national sur la langue». Il constatait, lui aussi, que le Québec compte beaucoup de gens instruits et bien informés, mais que la grande absente c'est la maîtrise de la langue. «La reconnaissance d'une diversité culturelle doit être, dit-il, soutenue par une langue parlée et écrite de qualité.»

Plus concrètement, il s'inquiète du futur marché de l'emploi. Notre secteur manufacturier s'amenuise à mesure que des usines se délocalisent vers les pays en voie de développement. Il y aura de moins en moins d'emplois de cols bleus, de moins en moins d'emplois qui n'exigeront pas la maîtrise de la langue qui va avec la spécialisation. Or, dit-il, «ce n'est pas en utilisant des mots imprécis et des phrases approximatives que nous pourrons nous assurer une place sur l'échiquier mondial».

Que l'on pense, justement, aux ordinateurs, au web, à l'Internet. Les nouveaux moyens d'information et de communication passent tous par la langue. Google corrigera vos menues fautes d'épellation en vous demandant si ce n'est pas plutôt tel mot que vous recherchez. Mais une connaissance approximative de la langue vous empêchera de tirer profit des moteurs de recherche.

Quelques futurologues ont déjà voulu nous faire croire que la majorité des gens n'aurait jamais besoin de savoir écrire. Quelle erreur! Jamais dans l'histoire l'écriture n'aura pris une telle importance. Les messages électroniques ont remplacé le téléphone. Même les patrons, qui se fiaient naguère à leur secrétaire pour rédiger leurs lettres, doivent aujourd'hui pouvoir écrire sur l'ordinateur.

Un chantier national sur la langue, qui dépasserait le strict domaine de l'école pour toucher tous les secteurs - familles, médias, arts, politique, commerce, entreprises Un chantier d'envergure nationale, qui serait, comme dit M. Ducharme, «porté par le gouvernement, voire l'Assemblée nationale» Mais oui, l'idée est excellente. Ce n'est pas la première fois qu'elle court, cependant, et jusqu'ici aucun parti, aucune coalition ne l'a ramassée.

Lysiane Gagnon, La Presse, 22 janvier 2008.

lundi 8 mars 2010

Faut-il tuer Tilly?

Si vous aviez de jeunes enfants dans les années 1990, ils ont certainement vu et revu le film Mon ami Willy. Un jeune garçon et une orque mâle exploitée par le propriétaire d’un parc aquatique se lient d’amitié. Avec l’aide de ses parents adoptifs, le garçon réussit à sortir l’orque du parc et à la ramener à la mer. Le film a suscité un immense courant de sympathie pour les orques en général, et pour celles en captivité en particulier.

Dans la vraie vie, comme chacun sait, les choses ne sont pas si simples. Même pour les orques (aussi appelés épaulards). Mercredi, une orque du Seaworld d’Orlando, Tilly, se trouvait dans la partie peu profonde de son réservoir en compagnie d’une entraîneure d’expérience, Dawn Brancheau. Celle-ci venait de le récompenser pour sa performance lors du spectacle lorsqu’il l’a pris ses cheveux en queue de cheval dans sa gueule et l’a entraînée au fond du bassin. Mme Brancheau est morte noyée et de «multiples blessures», selon le rapport d’enquête. L’incident suscite de vifs débats aux États-Unis.

Devrait-on garder en captivité des mammifères d’une telle taille – Tilly pèse quelque 5600 kilos -?

«Nous savons qu’isoler des personnes les rend folles. Comment pouvons-nous nous attendre à autre chose dans le cas d’animaux marins?» demande un océanographe. Le spécialiste du comportement animal chez Seaworld affirme que les entraîneurs surveillent constamment le comportement des orques et que rien n’indiquait, mercredi, que Tilly était stressé.

Tilly est né en mer mais, de plus en plus, les orques qu’on voit dans les parcs aquatiques sont nés en captivité. On ne capture plus d’orques dans les océans depuis 20 ans. Certains souhaiteraient que les orques présentement captives soient libérées, mais même si les propriétaires de parcs aquatiques acceptaient de le faire, le succès de l’opération ne serait pas garanti. L’épaulard qui «jouait le rôle» de Willy, Seiko, est mort en décembre 2003, un peu plus d’un an après avoir été remis à la mer. Il semblait incapable de se nourrir seul. Malade, il a fini par s’échouer.

Devrait-on employer des animaux pour faire des spectacles?

«Si nous nous intéressons vraiment aux animaux, laissons-les tranquilles», dit la présidente d’une organisation militant pour le traitement éthique des animaux. «Nous gardons des animaux en captivité pour éduquer les gens. L’éducation, c’est notre dernière chance de sauver ces animaux», rétorque un directeur de jardin zoologique.

Devrait-on tuer une orque qui s’est attaquée à un humain?

La direction de Seaworld a fait savoir qu’elle n’euthanasierait pas Tilly: «Il est membre de notre famille. Ces animaux nous permettent d’apprendre beaucoup de choses.»

Un défenseur des droits des animaux, Russ Rector, s’est élevé contre cette décision: «Tilly est un tueur. S’il s’agissait d’un chien, on l’endormirait.» Il faut dire que l’épaulard en question a déjà été impliqué dans au moins un incident du genre, en 1991, alors qu’il était en captivité dans un parc de Victoria, en Colombie-Britannique.

Un enseignement ressort de cette affaire, comme de toute l’expérience de l’Homme avec les animaux. Malgré des siècles d’observation et d’étude, bien des aspects de leur comportement échappent à notre compréhension. Ainsi, pourquoi Tilly a-t-il attaqué son entraîneure au moment où celle-ci le récompensait? Selon un spécialiste de la faune marine interviewé par le New York Times, les épaulards sont trop intelligents pour agir seulement par instinct: «Ce n’était pas un geste de folie, c’était prémédité». Un autre expert exprime une opinion différente: «On parle d’un animal qui peut déchirer en morceaux une baleine bleue! Si Tilly avait agi de manière agressive, le corps de la victime aurait été en bien plus mauvais état.» L’épaulard voulait-il seulement jouer avec Dawn?

Les spectacles mettant en vedette les orques ont repris en fin de semaine au Seaworld d’Orlando. Sans Tilly… pour l’instant.

André Pratte, La Presse, 28 février 2010.